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J’arrive à l’enquête du commandant Ravary. Cependant, j’ai un mot à ajouter. Dans l’enquête du général de Pellieux, j’ai été pris à partie sur divers points ; je ne m’y arrêterai pas ; ils figurent tous au rapport de M. le commandant Ravary, rapport sur lequel je n’ai pas été appelé jusqu’ici à m’expliquer. Eh bien ! j’avais demandé qu’on me confrontât avec certains témoins, j’avais demandé qu’on citât certaines personnes, qui pouvaient donner du poids à mes explications : cela n’a pas été fait.

J’arrive donc à l’enquête du commandant Ravary.

Au commandant Ravary, j’ai répété ce que j’avais dit au général de Pellieux. J’ai eu également trois séances avec lui, mais je dois vous le dire, — c’est ma conviction absolue, — le commandant Ravary avait l’air d’un homme qui cherchait à s’informer de ce que j’avais pu faire et qui s’occupait fort peu de ce qu’avait pu faire le commandant Esterhazy. Je lui ai dit qu’il y avait des preuves morales en abondance ; je lui ai donné quelques indications.

Au moment où j’ai quitté Tunis, où, malgré les bruits déjà répandus, j’avais gardé des sympathies très vives, il y a des personnes qui sont venues me trouver ; il y a notamment le colonel Dubuch, qui allait prendre sa retraite et qui m’a fait dire : « Le commandant Esterhazy, je le connais ; il a eu en 1882, à Sfax, une affaire de malversation qui devait le conduire devant un Conseil d’enquête, sinon devant un Conseil de guerre.» Le commandant Sainte-Chapelle, qui m’a fait cette communication de la part du colonel Dubuch, a ajouté qu’un autre témoin important était M. Zickel, chef d’escadrons en retraite, qui était résident à Sfax à ce moment-là. Eh bien ces messieurs m’ont dit que, grâce à la longanimité très grande de l’autorité militaire et à ses supplications, le commandant Esterhazy, ou plutôt le capitaine Esterhazy à ce moment, avait échappé au Conseil d’enquête et au Conseil de guerre.

Le fils du général La Rocque, qui est à Tunis, où il occupe un emploi dans l’administration, m’a dit également que le commandant Esterhazy avait été surveillé par son père, alors que celui-ci commandait la subdivision de Constantine. Enfin, le commandant Esterhazy était très connu dans la province de Constantine, et pas d’une façon favorable. J’ai cité cela au commandant Ravary, je lui ai dit : « Voilà ce qu’on m’a dit ! » La première fois, il m’a répondu : « C’est très bien. » Je le lui ai répété une seconde fois ; il m’a fait la même réponse..., mais je n’ai pas vu apparaître cette preuve morale dans son rapport.

Il en a été de même de toutes les investigations préliminaires que j’avais faites au sujet d’Esterhazy. J’avais trouvé un certain nombre de choses assez graves ; elles n’ont pas attiré non plus l'attention de l’instruction. On me disait toujours : « Esterhazy, mais nous le connaissons mieux que vous ! » (Rires.) Seulement, on n’en a rien dit dans le rapport !