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même dit à un de mes anciens chefs, sans lui rien indiquer de précis, car j’avais toujours gardé jusque-là le secret le plus absolu sur tout ce qui s’était passé. Je faisais semblant d’être en mission. J’avais donc écrit à un de mes anciens chefs : «  Il doit y avoir des machinations ; il y a quelque chose d’extraordinaire. » Je ne m’étais pas trompé, puisqu’il y avait cette lettre Speranza ; mais mon ancien chef m’avait répondu que je pouvais être tranquille. Quand j’ai reçu la lettre du commandant Henry, je n’ai plus eu de doute ; la machination était évidente. Je commençai par répondre au commandant Henry, quoiqu'il ait nié la chose depuis, que j’avais reçu sa lettre du 31 mai, et que je protestais formellement contre les insinuations qui y étaient contenues et contre la manière dont les faits y étaient exposés.

Et puis, ne me sentant pas tranquille, car, enfin, je ne savais pas où tout cela allait me mener — cela devait me mener à Gabès et à la frontière tripolitaine — j’ai cru devoir prendre des dispositions pour ma sûreté. Je suis parti pour Paris, j'ai pris conseil de quelques personnalités militaires, et je suis allé également chez M. Leblois, qui était mon ami, et, pour la première fois, en lui montrant la lettre du commandant Henry, je lui ai appris que j’avais été mêlé à l’affaire Dreyfus et à l’affaire Esterhazy. Je lui exposai, sur les deux premiers paragraphes de cette lettre, le nécessaire pour ma défense ; mais je ne lui ai pas parlé du troisième paragraphe, qui me paraissait se rapporter à des choses tout à fait secrètes.

Je remis en même temps, autant comme dépôt que pour servir plus tard à ma défense, je remis à M. Leblois un certain nombre de lettres du général Gonse ; je crois qu’il vendait en tout quatorze : il y en a deux qui ont été publiées dernièrement dans les journaux, contre ma volonté : il y avait, en outre, mes réponses à ces deux lettres. Je laissai M. Leblois maître absolu du moment où il aurait à intervenir et de l’usage qu'il aurait à faire de ce que je remettais entre ses mains. 11 a agi comme bon lui a semblé et je l’approuve.

Je suis rentré alors à Sousse et je n’ai plus entendu parler de tout cela jusqu’au moment où la presse a fait connaître que M. Scheurer-Kestner s’occupait de la question Dreyfus, et, alors, les péripéties que tout le monde sait se sont produites.

J’avais déjà reçu l’ordre de me rendre dans le Sud, lorsqu'on m’a appelé à Tunis, où l’on m’a posé des questions qui m'ont semblé assez singulières. On m’a demandé, d’abord, si je ne m’étais pas laissé voler un document secret par une femme, il m’a été très facile de répondre que je n’avais jamais emporté de documents chez moi, et qu’il n’y avait aucune possibilité qu’une femme me prît un document de ce genre.

Ensuite, il est arrivé une chose très curieuse. J ai reçu, à peu près le même jour : 1° une lettre du commandant Esterhazy ; 2° un télégramme signé Speranza ; 3° un télégramme signé Blanche.