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dit : « Je ne sais pas de qui elle est. » Il m’a répondu : « Regardez la signature. » — C’était Speranza. Quand j’ai lu cette lettre, j’ai compris, ou je me suis rappelé beaucoup de choses qui m’étaient arrivées auparavant... Je donne à peu près le texte de cette lettre :

« Votre brusque départ nous a mis tous dans le désarroi ; « l’œuvre est compromise » — ou quelque chose comme cela — « parlez et le demi-dieu agira». On avait pris ce mot demi-dieu dans la copie du 20 novembre, sans se douter que c’était un sobriquet que je donnais à un officier de mes amis. Je pense qu’on voulait désigner par là un chef du syndicat ou quelque chose comme cela.

Mais, je le répète, je n’ai eu connaissance de cette lettre que par le général de Pellieux, parce qu’on l’avait gardée au ministère. Maintenant, je suis à me demander pourquoi on ne me l’a pas envoyée ; en ïa recevant, j’aurais réclamé ou je n’aurais rien dit. Si je n’avais rien dit, on aurait pu m’en demander compte plus tard et si j’avais réclamé, on se serait expliqué.

Bref, j’arrive au temps que j ’ai passé en Tunisie, c’est-à-dire au mois de juin. J’avais reçu, depuis le commencement de l’année, un certain nombre de lettres de personnes de mon service, qui me disaient : « Quand je vais au bureau, on me dit toujours que ’vous êtes en mission, que vous allez bientôt rentrer. » J’en conclus que l’on ne disait pas la vérité à ces braves gens, et j’épinglai, sur une de ces lettres, une note assez vive, je l’avoue, que j’adressai au commandant Henry, en lui retournant la lettre. Cette note était à peu près conçue dans ces termes : « Je voudrais bien qu’on dise une bonne fois aux personnes qui viennent me demander, que j’ai été relevé de ce service ; je n’ai pas à en rougir, mais je rougis du mystère et des mensonges qui ont entouré mon départ. »

Ceci était écrit le 18 mai. Au commencement de juin, j’ai reçu du commandant, qui était précédemment mon subordonné, une lettre que j’ai sur moi, dans laquelle il dit qu’après son enquête on peut expliquer le mot mystères par les faits suivants : 1° Ouverture d’une correspondance pour des motifs étrangers au service et que personne n’a jamais compris — ceci est une allusion à la saisie de la correspondance du commandant Esterhazy ; — 2° Tentative de suborner deux officiers du service, pour leur faire dire qu’un document classé au service, était de l’écriture d’une personnalité déterminée ; — je dois dire tout de suite que ces deux officiers se sont transformés en un seul, je ne sais pas ce qu’est devenu le second : — 3° Ouverture d’un dossier secret, à la suite de laquelle des indiscrétions se sont produites, pour un motif étranger au service.

Je me rendis compte immédiatement, par la manière dont les choses étaient exposées dans cette lettre, par les insinuations, les accusations qu’elle contenait, qu’il y avait là-dessous quelque chose d’extrêmement grave. Je me doutais bien, depuis longtemps, que j’étais entouré de machinations ; je l’avais