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d’où elle venait, je dus prendre des renseignements sur le commandant Esterhazy. Je m’adressai à un officier qui le connaissait et qui avait été avec lui dans le même régiment.

Je n’insiste pas sur la nature des renseignements qui m’ont été fournis ; ils n’étaient pas favorables au commandant Esterhazy et m’ont porté à continuer mes recherches et à faire des investigations sur le genre de vie et les allures de cet officier. Ces investigations elles-mêmes ne furent pas en sa faveur. Le commandant Esterhazy était un homme toujours à court d’argent et qui avait eu bien des accrocs dans son existence. Puis il y avait surtout dans ses allures une chose étrange, c’est que cet officier qui, assurément, ne s’occupait pas exclusivement de son métier — loin de là — manifestait cependant une curiosité très grande pour tous les documents ayant trait à des choses tout à fait confidentielles et pouvant avoir un intérêt particulier au point de vue militaire. Mon enquête étant arrivée à ce point, je me crus autorisé à dire à mes chefs qu’un officier de l’armée française pouvait être gravement soupçonné Mes chefs me dirent de continuer mes recherches.

Il y a une chose que nous faisons généralement lorsque nous avons affaire à quelqu’un, dont les allures peuvent paraître suspectes : nous prenons un spécimen de son écriture et nous le comparons avec certains documents que nous possédons. De cette comparaison peut résulter une confirmation ou une infirmation des soupçons qui pèsent sur la personne. Je me préoccupai donc de l’écriture du commandant Esterhazy, et, contrairement à ce qui a été dit souvent, notamment dans une lettre que m’a écrite le commandant Esterhazy, je pris pour cela des voies tout à fait régulières. Avec l’assentiment de mes chefs, j’allai trouver le colonel du régiment auquel appartenait le commandant Esterhazy. Je lui demandai des spécimens de son écriture ; il me les remit sous forme de lettres ayant trait au service. Dès que j’eus ces lettres entre les mains, une chose me frappa d’une façon étonnante, ce fut la ressemblance de cette écriture avec celle du fameux bordereau dont on a tant parlé ; mais je n’avais pas le droit, n’étant pas expert en écriture, de m’en fier à mes seules impressions.

C’est pourquoi je fis faire des photographies de ces pièces de service en faisant, comme on l’a dit dans une déposition que j’ai lue dans les journaux, cacher des mots tels que mon colonel, ou bien la signature, ou bien des indications qui pouvaient mettre sur la trace de la personne de qui venait cette lettre ; et je montrai les photographies ainsi obtenues à deux personnes parfaitement qualifiées pour se rendre compte de la chose. L’une était M. Bertillon, l’autre le commandant du Paty de Clam. M. Bertillon, dès que je lui eus présenté la photographie, me dit : « C’est l’écriture du bordereau. » — Je lui dis : « Ne vous pressez pas ; voulez-vous reprendre cet échantillon et l’examiner à loisir ? » — Il me répliqua : « Non, c’est inutile ; c’est l’écriture du bordereau ; d’où tenez-vous cela ? » — « Je ne puis