Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/261

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Me Labori. — Permettez-moi, monsieur le Président, malgré tout mon respect pour vous, de dire que je ne comprends pas le but de cette distinction. Il y a à cela deux raisons : la première, c’est que, comme je le disais hier, la seule affaire qui est ici en litige, c’est celle de M. Zola ; la seconde, et c’est surtout cette raison que je veux faire valoir, c’est qu’on entend des hommes comme M. le général Mercier, comme M. le général de Pellieux, comme M. le général Gonse, qui viennent ici, parlant des arrêts de justice qu’ils connaissent, se mettre sous leur abri pour ne pas parler et qui, cependant, l’un après l’autre, avec le même vague, avec la même incertitude, jettent leur parole de soldat dans la balance, convaincus que, grâce à l’amour que ce pays-ci a pour lui-même et à l’ardente affection qu’il a pour la patrie, il suffira de cette parole de soldat pour l’entraîner sans lui dire pourquoi. On ne les arrête pas ; ils ont le droit de dire l’un après l’autre : Dreyfus est coupable. Ils parlent ainsi malgré les arrêts de la justice et personne ne les en blâme ! C’est donc qu’on ne peut pas parler de l’affaire Esterhazy, sans parler de l’affaire Dreyfus !

Pour cette raison, comme pour les autres, étant donné qu’il y a chose jugée, comme dans l’affaire Esterhazy, il n’y a pour moi qu’une explication au bâillon qu’on nous met sur la bouche : c’est qu’on n’ose pas parler de l’affaire Dreyfus, car il est impossible de la séparer de l’affaire Esterhazy.

Je demande que la parole soit donnée à tous les témoins, sur tous les points qui n’intéressent pas la défense nationale, et je demande surtout que, quand je pose une question aussi discrète, aussi réservée, aussi modérée que celle que je pose à M. Salles , témoin qui détient un secret que, je le sais, on ne veut pas qu'il dise , je demande que ma question soit posée, ou bien je proteste contre l’obscurité qu’on répand tous les jours un peu plus, parce qu’on a peur de la lumière.

M. le Président. — Vous pourrez protester tant que vous voudrez. je vous ai dit que je ne poserai aucune question à cet égard ; je vous ai dit et je vous le répète, et ce sera ainsi jusqu’à la fin des débats, que je ne poserai pas la question.

(Au témoin.) Avez-vous quelque chose à dire relativement à l’affaire Esterhazy ?

M. Salles. — Non. Sur l’affaire Esterhazy, je n’ai rien à dire. M. le Président. — De l’affaire Dreyfus, n’en parlons pas !

Me Labori. — Mais, monsieur le Président, je ne veux pas parler de l’affaire Dreyfus !

M. le Président. — Je vous demande pardon, vous voulez en parler par des moyens détournés

Me Clémenceau. — Monsieur le Président veut-il me permettre de poser la question suivante : Le témoin a-t-il su, par l’un des membres du Conseil de guerre de 1894, qu’une pièce secrète avait été communiquée aux juges en chambre du Conseil,