Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/221

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mande de prendre les devants et d’éviter ce scandale ou d’en prendre la tête, c’est-à-dire de prendre la tête du mouvement ».

Je lui répondis le lendemain — c’était le 7 ou le 8, cela se passait les 7, 8, 9 et 10 septembre, autant qne je puis me rappeler — le lendemain donc, je lui répondis : «Malgré tout ce que contient d’inquiétant votre lettre, je persiste dans mon premier sentiment. » Ce qui voulait dire, - et le colonel Picquart devait le comprendre, de se reporter à notre premier entretien ; cela voulait dire aussi : contrôlez dans l'ordre d’idées que je viens de vous indiquer tout à l’heure, c’est-à-dire interrogez les sous-officiers, les officiers d’artillerie qui ont pu, soit communiquer, soit copier des documents secrets ou compromettants. C'était toujours dans cet ordre d’idées-là.

Et j'ajoutais : « Evitez les démarches irréparables. »

En effet, dans l’état de la question, comme il n'y avait que des présomptions, il n’y avait pas lieu de faire arrêter un officier, et le colonel Picquart voulait me proposer de me joindre à lui pour faire arrêter le commandant Esterhazy.

Eh bien ! je n’ai jamais voulu entrer dans cette voie-là, attendu que, quand il n’y a que des présomptions, il me semble tout naturel d’attendre pour fortifier l’opinion qu’on peut avoir.

Voilà tout ce que je lui ai dit dans mes lettres.

Par conséquent, je renouvelle la déclaration que je lui ai faite : je voulais distinguer et disjoindre les affaires Dreyfus et Esterhazy ; je voulais laisser l’affaire Dreyfus complètement en dehors du débat. Je donnais au colonel Picquart le conseil de continuer à rechercher la culpabilité du commandant Esterhazy, qui pouvait être le complice de Dreyfus, — je n’en savais rien, — qui pouvait être un autre coupable, — il aurait pu y en avoir plusieurs ; — c’était à lui à rechercher, dans l’ordre d’idées qu’il m’avait indiqué. Et nous étions, je crois, complètement d’accord à ce sujet.

Par conséquent, je suis très étonne que des lettres qui suivaient une conversation, une conversation dans un sens bien déterminé, aient été interprétées d’une façon absolument erronée. Il me semble que c’est moi le premier qui pouvais donner à cette correspondance le sens qu'elle avait réellement

Maintenant, je suis étonné, d’autre part, que cette correspondance, qui touchait un point tout à fait spécial du service des renseignements ait été divulguée, attendu qu'il ne s'agissait pas de poursuites judiciaires à ce moment-là, qu'il s'agissait de présomptions, je n’ose pas dire de commencements de preuves, de présomptions fondées sur des démarches imprudentes, peut-être coupables d’un officier ; il ne s'agissait donc pas de divulguer ces lettres, et j’aurais été tout a fait étonné si, à ce moment-là, on m’eût dit que mes lettres devaient être communiquées à des tiers. Il ne me serait jamais venu à la pensée de communiquer les lettres du colonel Picquart à qui que ce soit, en dehors de mes chefs, et j’estime que c'est du