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je crois être le droit et la légalité. Ce que je sais, parce que je le tiens de M. Scheurer-Kestner lui-même, c’est que, dans la période où il a fait des démarches auprès du Président du Conseil et du Ministre de la guerre pour les déterminer a prendre en main eux-mêmes l’initiative de la revision du procès Dreyfus, qui lui paraissait appartenir au gouvernement, son intention était de saisir éventuellement de cette demande le Ministre de la justice.

Il paraîtrait même qu’il avait consulté un avocat à la Cour de cassation et fait préparer dans ce but une requête ; mais la réponse qu’il demandait s’étant fait très longtemps attendre, à côté de lui, un intéressé plus direct dans l’affaire, M. Mathieu Dreyfus, frère du condamné, porta plainte au Ministre de la guerre contre le commandant Esterhazy, et, à partir du jour où cette plainte a été portée, M. Scheurer-Kestner a été dans l’impossibilité de donner suite à son intention primitive. Voilà le fait.

Puisque l’on me demande mon opinion sur la question de droit, la voici : Je crois que, en effet, on porte une accusation tout à fait erronée et très mal fondée, soit contre M. Scheurer-Kestner, soit contre M. Mathieu Dreyfus, lorsqu’on les rend responsables de l’agitation et malheureusement des désordres, disons-le, auxquels ont donné lieu jusqu’à ce jour leurs démarches.

En effet, il y a deux voies ouvertes pour obtenir la revision d’une erreur judiciaire, c’est l’article 443 du Gode d’instruction criminelle qui les détermine. La première est celle-ci : on peut, une fois que la condamnation a été prononcée, si on découvre que les faits auxquels cette condamnation s’applique ont été commis par une autre personne que le condamné, provoquer des poursuites contre cette autre personne et, si on la fait condamner, cette condamnation se trouvant en contradiction avec la condamnation antérieure qui aurait frappé un innocent, la nécessité de la revision de l’erreur judiciaire s’impose. Dans cette première hypothèse, ces deux condamnations entraînent nécessairement, ipso facto, la revision du procès.

Voici la seconde voie — elle est différente de l’ancienne, elle est l’œuvre de la législature actuelle et résulte d’une loi votée le 6 juin 1895 sous le ministère dont j’ai eu l’honneur de faire partie : — on peut, si on découvre, après une condamnation, un fait nouveau qui était inconnu au moment où celle-ci a été prononcée, et qui est de nature à établir l’innocence du condamné, saisir le Ministre de la justice et provoquer de sa part la revision du procès. On demande au Ministre de la justice de saisir la Cour de cassation, qui est juge en pareille matière.

Telles sont les deux voies à suivre. Or, il est incontestable que M. Mathieu Dreyfus s’est engagé dans la première ; car, en portant une plainte formelle contre le commandant Esterhazy, il espérait obtenir une condamnation contre lui, et, dans ce cas,