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lui disait que le demi-dieu attendait ses instructions pour agir ?

Gomment, surtout, pouvait-on admettre qu’on lui eût sérieusement expédié le 10 novembre 1897, à la veille de son retour de Tunisie, à un moment où il était dans la presse l’objet de si violentes attaques, à un moment où il était l’objet d’une surveillance de la part du ministère de la guerre, qu’on lui eût expédié en clair, c’est-à-dire en langage découvert, des dépêches aussi incroyables : « Votre œuvre est compromise, affaire grave, on sait que vous êtes coupable d’un faux ... », des dépêches qui, à leur passage, devaient être forcément copiées, et l’avaient été, en effet, pour être communiquées à M. le Ministre de l’intérieur, et à M. le Ministre de la guerre ? Le caractère apocryphe, le mensonge de ces documents n’étaient-ils pas évidents ?

Mais, en y regardant de plus près, ajoutait le lieutenant-colonel Picquart, on voit d’où viennent ces lettres et ces dépêches : car elles contiennent en elles-mêmes la preuve certaine de leur point de départ. Dans la première de ces quatre pièces, il est question du demi-dieu ; dans la seconde (lettre Speranza du 15 novembre 1896), dans l’autre dépêche Speranza du 10 novembre 1897, on retrouve le demi-dieu, mais le demi-dieu auquel on fait jouer un rôle. Le demi-dieu devient un véritable compère, un complice ! Ce demi-dieu est, pendant l'absence du lieutenant-colonel Picquart, chargé de conduire son intrigue, de poursuivre son œuvre, d’être, dans l’ombre, son aller ego.

Or, M. le colonel Picquart démasqua vite la supercherie. Le demi-dieu, il le fit connaître ; celui qui portait ce nom était incapable de jouer le rôle qu’on lui attribuait : c’était un des officiers d’ordonnance de l’un de nos commandants de corps d’armée, au dessus de tous soupçons.

Alors, Messieurs, que fallait-il donc pour expliquer cette lettre, cette dépêche Speranza, dont le pseudonyme va se retrouver plus tard, sous le personnage de la femme voilée ? Qui donc pouvait les avoir écrites ? Quelqu’un nécessairement qui savait qu’il existait dans les relations, dans l’entourage de M. le lieutenant-colonel Picquart, une personne que ses connaissances appelaient le demi-dieu et qui, en même temps, ignorait quelle était la réalité de cette personnalité.

Or, ils étaient plusieurs qui avaient cette science et cette ignorance, plusieurs qui savaient qu’un ami du lieutenant-colonel Picquart avait ce surnom de demi-dieu, et qui ne savaient pas quel rôle jouait ce personnage ! C’étaient ceux qui évidemment avaient copié la lettre du 20 novembre 1896, pour en retenir cette expression énigmatique de demi-dieu, qui avait éveillé chez eux un soupçon gratuit, et qui, partant de ce soupçon, avaient plus tard imaginé toute une série de documents apocryphes, mensongers et faux.

M. le général de Pellieux n’avait pas été long à comprendre la portée de ces rapprochements ; mais il ne suffisait pas au colonel Picquart de se justifier. Il voyait, dans ces documents.