Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/188

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Il y avait quelqu’un, une personne mystérieuse, — il ne s’agissait pas encore d’une dame voilée, — quelqu’un qui s’acharnait à lui tendre des pièges, qui voulait l’intimider, lui fermer la bouche et, au besoin, menaçait de le perdre s’il osait parler.

M. Leblois m’exposa alors des faits qui me parurent confus, tout d’abord, mais qui, après une courte réflexion, se classèrent d’eux-mêmes et prirent une signification sérieuse. Le lieutenant-colonel Picquart, me dit-il, avait été mis au courant de ces menées le jour même où il avait comparu, revenant de Tunisie, dans le cabinet de M. le général de Pellieux, qui, vous le savez, avait été chargé, en novembre 1897, des préliminaires de l’instruction du procès Estërhazy. Dès que le lieutenant-colonel Picquart avait comparu devant le général de Pellieux, ce n’était pas en témoin, qu’il avait été accueilli, mais plutôt en accusé. M. le général de Pellieux avait placé sous ses yeux quatre documents sur lesquels il avait appelé son attention en termes sévères, et c’était bien naturel ; car si ces documents eussent été authentiques, ils eussent couvert de confusion le lieutenant-colonel Picquart, ils eus démasqué de sa part la conduite la plus indigne et déshonoré son caractère.

Ces quatre documents, Messieurs, étaient les suivants... Vous m’excuserez si j’entre ici dans des précisions et des détails ; mais, pour me faire bien comprendre, cela est nécessaire.

Ces documents, dis-je, étaient les suivants : On plaça sous ses yeux la copie d’une lettre qui était arrivée au ministère après son départ, au mois de novembre 1896, le 20 novembre. Cette lettre avait été arrêtée par le cabinet noir... Car on a beaucoup reproché au lieutenant-colonel Picquart d’avoir ouvert la correspondance du commandant Esterhazy : mais, après son départ du ministère, on ne s’est pas fait faute d’ouvrir la sienne !... Cette lettre ouverte, on en avait pris copie, et, après l’avoir refermée, on l’avait dirigée sur la garnison où il devait se trouver à cette époque.

Cette lettre ne contenait en elle rien de très important : une seule chose expliquait qu’on eût cru devoir en prendre copie, c’est cette phrase énigmatique : « Le demi-dieu » — je crois — « désire vous revoir ; on s’inquiète de vos nouvelles... » quelque chose d’approchant.

Le second document était une autre lettre qui portait, elle, la date du 15 décembre 1896, signée Speranza, nom qui, pour la première fois, apparaît dans l’affaire ; « Depuis votre malencontreux départ, votre œuvre est compromise ; le demi-dieu attend des instructions pour agir. »

Cette lettre avait été purement et simplement confisquée...

(Depuis un moment, un certain bruit se manifeste dans l'auditoire.)

Me Labori. — Monsieur le Président, seriez-vous assez bon