Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/187

Cette page n’a pas encore été corrigée

forcément Dreyfus devait être en relations coupables avec une ambassade.

Mais qui avait communiqué cette pièce ? Ce n'était pas le lieutenant-colonel Picquart ; c’était impossible, car M. le lieutenant-colonel Picquart poursuivait la revision du procès Dreyfus, et celui qui avait fait cette communication poursuivait évidemment un but inverse. Cette communication à l'Eclair n’avait-elle pas été le dernier coup de massue porté sur le condamné de 1894, le dernier mot qui devait voûter sa tombe ?

Alors, ce ne pouvait être non plus la défense de Dreyfus ? Jamais elle n’avait connu la pièce. Les experts ? Jamais ils ne l’avaient eue en mains. Un journaliste, pourtant, ne pouvait la tenir que de quelqu’un qui était en situation de la connaître.

Les personnes dans cette situation n’étaient pas bien nombreuses. Elles étaient six, huit, dix, au ministère. Le champ des investigations n’était point étendu. Quel était le coupable ? Je ne puis le dire, je n’aurai pas la témérité de l’indiquer, mais certainement il y en avait un ; c’était quelqu’un qui, ne voulant pas que les démarches du lieutenant-colonel Picquart pussent aboutir, avait barré sa route et qui, pour en arriver là, n’avait pas hésité à commettre une indiscrétion criminelle ; car il fallait avoir été jusqu'au crime pour communiquer le document dans les conditions où il avait été reproduit par le journal. Ce journal, en effet, avait imprimé le passage que je rappelais tout à l’heure en ces termes : « Cet animal de Dreyfus devient bien exigeant ». Or, il y avait là une altération d’écriture au texte original. Ce document, — on l’a connu depuis — j’en affirme l’existence et j’en affirme le texte, — ce document ne dit pas : « Cet animal de Dreyfus », il dit « Cet animal de D..... ». Il n’indique que l’initiale ; il avait fallu faire un faux pour lui assurer un effet plus décisif, en substituant, à une simple initiale qui ne désignait personne, Dreyfus nominativement désigné.

J’avoue, Messieurs, que ce fut un trait de lumière effrayant pour moi !

Mais je ne savais pas encore tout, Messieurs ; je devais, peu de temps après, en connaître encore davantage, et ce qui me restait à apprendre allait éclairer d’un jour nouveau ce qui semblait déjà assez significatif.

En effet, peu de temps après la conversation que je viens de rappeler et que j’avais eue avec M. Scheurer-Kestner, une autre personne, M. Leblois, avocat de M. le lieutenant-colonel Picquart et son ami d’enfance, que j’avais eu l’occasion de rencontrer en diverses circonstances et qui était mon ancien confrère, M. Leblois, dis-je, m’ayant vu intervenir dans l’interpellation du Sénat, vint me rendre visite et me demander mon concours éventuel pour son ami. Il m’expliqua que le lieutenant-colonel Picquart était, depuis son départ du ministère, depuis plus d'une année, par conséquent, en butte à des machinations souterraines.