Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/183

Cette page n’a pas encore été corrigée

après le départ de M. le lieutenant-colonel Picquart du ministère de la guerre.

J’ai lu ces lettres, Messieurs, je les ai relues, et j'y suis revenu bien souvent depuis par la pensée ; elles ne pouvaient me laisser aucun doute. Je dois dire cependant dans quelle mesure elles éclairaient mon esprit ; je n’y ai pas trouvé la preuve certaine que le général Gonse se fut arrête à la volonté manifeste, fixée dans son esprit, d’ouvrir à une date déterminée la révision du procès Dreyfus, mais j’y ai trouvé 1'indication éclatante, incontestable, que cet officier général a admis la possibilité de la revision, donné des instructions pour sa préparation et collaboré à l’œuvre entreprise dans ce but par le lieutenant-colonel Picquart, couvrant ainsi tous les actes de ce dernier de sa pleine approbation.

En effet, Messieurs, vous me permettrez, pour affirmer mon dire pour justifier les appréciations dont je prends la responsabilité, à cette heure, de produire devant vous quelques lambeaux de cette correspondance, qui se sont fixés dans ma mémoire.

Le général Gonse avait pris un congé au mois d’août 1896 ; il était parti le 15 août pour aller à Cormeilles-en-Parisis : le lieutenant-colonel Picquart était allé le voir le 1er septembre ; il lui avait expliqué, — dans cette entrevue, — tous les faits qui étaient parvenus à sa connaissance depuis l'absence du général et, quelques jours après, à son retour de Paris, le 5, il avait demandé à ce dernier des instructions pour soumettre à une expertise l’écriture du bordereau.

M. le général Gonse avait répondu à cette demande d'autorisation le 7 septembre en termes pleins de prudence. Mais il n’avait pas dit à son subordonné : « A quoi vous attardez-vous ?» — ce qu’il n’eût pas manqué de faire évidemment s'il eût eu la certitude de la culpabilité de Dreyfus.

Non ! il ne lui a pas dit : « Mais vous vous trompez, vous le savez bien ! vous avez un dossier secret entre les mains qui ne doit vous laisser aucun doute ! Calmez-vous, c’est une folie ! » — Il lui a dit au contraire : « Agissez avec précaution, pas de démarches irréparables, n’allez pas à l’aventure, la question est d’une très haute gravité ; il faut conduire toutes vos négociations avec une grande circonspection... » J’analyse, bien entendu, je ne récite pas.

Puis s’expliquant sur la question même de 1 expertise, il a ajouté « Quant à soumettre la question à des experts, c’est en ce moment mêler des tiers, dans de mauvaises conditions, à l’examen de cette affaire ; il y a d’autres démarches que je vous conseillerai » — et il les indiquait ; il appelait son attention sur la nécessité, notamment, de vérifier dans quelles conditions les documents énumérés au bordereau avaient pu être communiqués par celui qu’il s’agissait d’accuser d’avoir été l'auteur de la trahison. Et puis, la lettre se terminait par des recommanda-