Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/155

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mandant Esterhazy et, après un assez long exposé dans lequel M. le commandant Ravary énumère un certain nombre de charges, il continue ainsi :

Non seulement les dépositions des témoins présentent de nombreuses contradictions avec les dires du colonel Picquart, mais elles révèlent, de plus, des faits extrêmement graves commis par cet officier dans son service. C’est ainsi que, mis en possession de papiers parmi lesquels se seraient trouvés des fragments de carte-télegramme (c’est une carte-télégramme qui était attribuée au commandant Esterhazy), il les conserva pendant plus d’un mois avant de les remettre"au commandant Lauth, chargé habituellement d’apprécier l’importance des papiers de cette provenance. Plus tard, quand la carte eut été reconstituée sur ses ordres, le lieutenant-colonel Picquart invita cet officier (c’est du commandant Lauth qu’il s’agit.) à la photographier, en lui recommandant expressément de faire disparaître sur les épreuves toute trace de déchirure, cette correction pouvant lui permettre, disait-il, de donner au document un plus grand caractère d’authenticité et au besoin d’affirmer à ses chefs qu’il l’aurait intercepté à la poste.

Je demande à M. le commandant Lauth, d’abord si ces faits sont exacts, dans ce cas s’ils le sont avec la signification que leur donne le rapport, et si, ensuite, dans l’esprit de M. le commandant Lauth, M. le colonel Picquart a eu à cette époque la moindre pensée ou la moindre intention d’obtenir de M. le commandant Lauth, par des moyens illicites, des déclarations qui eussent été contraires à la vérité ?

M. le Président. — Témoin, vous venez d’entendre la question ; pouvez-vous y répondre ?

M. le commandant Lauth, — Le passage où il est dit que le colonel Picquart avait gardé les fragments pendant plus d’un mois n’est pas tout à fait exact ; il pouvait s’être écoulé six ou huit jours, mais je ne crois pas que cela soit allé jusqu’à un mois. Quant au point de vue de savoir la manière dont j’ai pris la question à ce moment-là, je répondrai que je ne l’ai pas prise tout à fait comme une proposition en vue de me faire faire un faux ; mais j’ai vu depuis l’usage que le colonel Picquart avait voulu faire de cette carte-télégramme et je me suis rappelé alors la proposition qui m’avait été faite et le refus que j’avais opposé de vouloir faire quoi que ce soit pour y obtempérer. Au moment où je faisais observer au colonel Picquart qu’en voulant faire disparaître les traces de déchirures, il enlèverait toute valeur à cette carte-télégramme, le colonel Picquart dit ces mots : « Vous serez là pour certifier que cette écriture est celle de telle ou telle personne. »

C’est alors que j’ai répondu : « Jamais de la vie. Je ne le ferai pas ; c’est une écriture que je connais pas, que je n’ai jamais vue et qui ne ressemble en rien à l’écriture de la personne à laquelle vous venez de faire allusion. » Cette écriture à laquelle je fais allusion, le colonel Picquart la connaissait pour en avoir eu plus de vingt-cinq exemples sous les yeux successivement