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je trouvais qu’il valait mieux que je ne lui en parlasse pas. Mais je ne tardai pas à offrir au gouvernement de lui communiquer cette correspondance, et, naturellement, je fus autorisé à en faire une copie pour la lui remettre.

Malheureusement, les événements avaient marché ; le gouvernement n’était peut-être plus dans les mêmes dispositions que le premier jour, je ne sais ; en tout cas, cette communication fut refusée. Il me semblait qu’il était de l’honneur du gouvernement, qu’il était de l’honneur de la République, qu’il était de l’honneur de la démocratie, qu’il était de l’honneur de l’armée, que l’initiative d’une réparation pareille vînt d’en haut et non pas d’en bas ; c’est pour cela que je m’adressais au gouvernement.

Et, alors, qu’est-il arrivé ?

Au lendemain de ma visite au Ministre de la guerre, dans laquelle je lui avais parlé des pièces, où je lui avais montré ces pièces, — c’était le 30 octobre, — dès le 1er novembre, après qu’il avait été bien convenu entre nous que notre conversation serait secrète, qu’elle ne serait pas ébruitée, que vois-je dans les journaux qui sont inspirés par le ministère de la guerre, m’a-t-on dit ? ma visite au Ministre de la guerre racontée avec des commentaires mensongers !

On dit que je n’ai rien montré ; on dit même que j’ai refusé au Ministre de la guerre de me donner la preuve de la culpabilité de Dreyfus, alors que je suis resté trois heures devant lui à le supplier de la faire.

Me Labori. — D’Esterhazy.

M. Scheurer-Kestner. — Je vous demande pardon, j’ai peut-être fait une erreur ; voulez-vous me permettre de répéter ma phrase.

Je dis que j’avais supplié M. le Ministre de la guerre, pendant la visite que je lui faisais, de me démontrer la culpabilité de Dreyfus, en lui offrant d’aller le crier sur les toits et qu’il ne voulut ou ne put pas le faire.

Il se bornait à me dire : « Il est coupable ».

« Démontrez-moi qu’il est coupable », disais-je ?

« Je ne puis pas vous le démontrer ». Voilà ce que me répondait le général Billot, alors que j’avais apporté des pièces importantes et que j’avais dans le cœur tout ce que je savais par la lecture des lettres que j’ai citées tout à l’heure.

Voilà comment je suis arrivé à la conviction et voilà comment j’ai eu le courage de prendre en mains une cause qui est une cause d’humanité, de vérité et de justice !

M. le Président. — Maître Labori, avez-vous d’autres questions à poser à M. Scheurer-Kestner ?

Me Labori. — Oui, monsieur le Président. M. Scheurer-Kestner a bien voulu nous faire part de sa conversation avec M. le général Billot ; voudrait- il être assez bon pour nous dire s’il a vu M. le Président du Conseil, s’il a eu un entretien avec lui ?