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cartulaire de l’abbaye cistercienne de pontigny.

tion cistercienne. Cependant nous ne pouvons ici qu’esquisser l’organisation du temporel de Pontigny, car notre cartulaire renferme essentiellement, comme nous l’avons dit, les titres de propriété de l’abbaye et laisse dans l’ombre toute la vie matérielle du monastère et le mode de gestion de ses biens. Ce n’est que par un bref détail ou une courte allusion que les actes nous livrent quelques rares notations qui nous permettent d’entrevoir le système d’exploitation de Pontigny.

La grange, centre agricole périphérique, n’est pas une innovation de Pontigny, mais la forme habituelle des exploitations cisterciennes. Sortes « d’abbayes au petit pied »[1], elles se composent d’un ensemble de bâtiments nécessaires à la mise en valeur par le monastère des terres, bois et pâturages qui lui ont été donnés[2]. En effet, par réaction contre les Clunisiens, les Cisterciens ont renoncé au faire-valoir indirect, pour eux-mêmes cultiver leurs terres[3]. Ainsi, s’ils ont accepté des dons, c’est pour les mettre en valeur de leurs propres mains, sans avoir recours à des tenanciers.

Les statuts issus des chapitres généraux, qui chaque année réunissaient les abbés cisterciens, ont fixé l’emplacement de ces granges : dès 1152, un règlement défend d’en fonder une à plus d’une journée de marche du monastère dont elle dépend[4]. De même, en 1134, on fixa la distance qui devait séparer chaque exploitation agricole[5]. Pontigny semble avoir respecté ces règles les granges les plus éloignées de l’abbaye Bœurs au Nord, Villiers au Sud — ne sont pas à plus de trente ou trente-cinq kilomètres.

La seule exception est la grange de Loron ou Laurent qui se trouve à plus de quarante-cinq kilomètres de l’abbaye mère : elle provient du don que fit en 1120 un certain Gautier Prévost d’une terre en ce lieu[6] et est attestée comme grange dans un acte de 1127 de notre recueil[7]. C’est certainement sa situation éloignée qui poussa les religieux de Pontigny à l’échanger en 1156 contre des terres et droits à Sainte-Procaire[8].

Pour ce qui est de la distance à respecter entre les diverses granges[9], il semble a priori qu’il y ait eu dès le début transgression. Beugnon et Sainte-Procaire ne sont pas séparés par plus de 2 à 3 kilomètres, preuve, certainement, de l’importance des biens en ces régions avoisinantes du monastère.

  1. Voir H. d’Arbois de Jubainville, Études sur l’état intérieur des abbayes cisterciennes…, Paris, 1858.
  2. M. Aubert, L’architecture cistercienne en France, t. 2.
  3. Canivez, Statuta…, t. I, p. 14, n° V.
  4. Martène, Thes. Anecd., t. IV, col. 1244.
  5. Canivez, op. cit., p. 20, n° XXXII.
  6. Cet acte ne figure pas dans le cartulaire, mais il est édité d’après l’original dans Quantin, Cart. gén. de l’Yonne, t. II, p. 48, acte 43.
    La localisation de cette terre ne fait aucun doute, car, si le lieu n’existe plus, il est dit dans un autre acte de 1135 (édité par Quantin, t. I, p. 303, n° 178), que les moines de cette grange pourront moudre leur grain au moulin de Crain qui se trouve tout proche (arr. Auxerre, cant. Coulanges). Il doit s’agir de l’actuel lieu dit de Laurent installé dans la clairière au nord de la forêt de Fretoy, que Quantin traduit par le mot Loron. Sur les diverses formes latines de ce nom, voir actes nos 69 (annotation en marge), 85 et 268.
  7. N° 268.
  8. N° 85.
  9. Canivez, op. cit., p. 20, n° XXXIII.