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LE POISSON D’OR

mier coup d’œil, j’aurais juré que je reconnaissais le bateau du sous-brigadier et mon Judas nageant comme un perdu.

Ce n’était pas sa route pourtant ; il tournait le dos à Groix en grand et naviguait vers l’anse, entre le feu de Loc-Malo et le clocher de Plouhinec.

— Ho ! du bateau ! que je criai.

Point de réponse.

— Ho ! hé ! ho ! Bruant ! matelot.

Rien ; la barque glissait comme un bois mort monté par un revenant, voilà qui est vrai.

Je pensai : Bruant est-il déjà au fond de la mer ? Est-ce son avènement que je vois-là sous le vent ?

Je récitai un bout de prière et j’allai au lit tout triste, quoique le Judas n’en valait pas beaucoup la peine. C’était un matelot.

Le lendemain, au petit jour, je m’éveillai et je crus faire un rêve. Il y avait quelqu’un qui soufflait le feu dans ma cheminée. J’avais encore mes idées de la veille et je demandai tout bas :

— Matelot Bruant, es-tu vivant ou mort ?

— Je suis mouillé, me répondit-il en ricanant avec effort, et je me sèche.

Je me mis sur le coude. Il était mouillé, en effet ; ses habits ruisselaient.

— Viens-tu du Trou-Tonnerre ?

— Avec la marée et le vent, oui.

— Ce n’était donc pas toi, hier, que j’ai vu le long de la côte, ici dedans ?

Il haussa les épaules, mais en tournant la tête, et je cessai d’apercevoir son visage.

– Êtes-tu arrivé à temps au lieu de pêche, matelot ?