du matin. Il ne restait personne sur la place de l’église, naguère si bruyante, et tout le monde dormait au cabaret de la mère Tabac. Dans tout Larmor, il n’y avait qu’une fenêtre éclairée : celle où Jeanne de Keroulaz veillait au chevet de son grand-père mourant.
M. Bruant fut déposé chez le docteur P***, médecin de la marine, qui avait sa maison de plaisance à Larmor. Il survécut deux jours entiers au dernier petit coup de sang qui l’avait pris dans le Trou-Tonnerre. Dès qu’il fut mort, Lorient et Port-Louis dirent de lui pis que pendre. Le royaume des millions est de ce monde ; même quand ils sont à peu près bien acquis, il leur faut payer jusqu’à leur épitaphe.
M. Bruant ne recouvra pas un seul instant sa connaissance ; jusqu’au dernier soupir, il murmura des paroles inintelligibles pour ceux qui l’entouraient. Ces paroles, toujours les mêmes, selon le rapport du docteur P*** étaient celles-ci ou quelque chose d’approchant :
« Vous ne l’aurez pas ! vous ne l’aurez pas ! »
Une fois, pourtant, peu d’instants avant que d’expirer, il dit d’une façon plus distincte :
— Elle meurt d’envie de m’épouser. Sais-je ce qu’est devenu son père ?… On ne me l’avait pas donné à garder !
Judas parlait comme Caïn.
M. Keroulaz rendit son âme à Dieu quelques heures après le décès de J. B. Bruant : ainsi toutes ses prédictions se trouvèrent accomplies, depuis la première jusqu’à la dernière…
— Et c’est tout ? demanda la marquise, voyant que Son Excellence se taisait.