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dans le recueil d’Isaïe, avait pour mission de convertir toutes les nations à Iahvé. Est-il vrai du moins que les voyants d’apocalypses aient précisé la notion de l’individu, ou se soient préoccupés beaucoup des Gentils dans leurs rêves d’avenir ? Est-il vrai que leurs sentiments envers tous les hommes soient plus fraternels, et inspirés par leur attitude envers Dieu ?

Il ne serait pas possible de le dire.

La notion précise de l’individu, l’autonomie de la personne, sa dignité propre, ce sont là des idées grecques, en particulier des concepts socratiques et platoniciens, et qui, il faut bien le dire, ne conduisent guère au sentiment d’une vraie fraternité entre les hommes. Ils en détourneraient plutôt, en exaltant la puissance de la monade humaine isolée, s’ils n’avaient par ailleurs l’avantage de rompre avec un égoïsme national trop accentué. De toute façon ils n’ont par eux-mêmes aucune valeur religieuse, tant qu’on ne considère pas l’origine commune des âmes et leur retour à Dieu. Si les apocalypses en sont peu pénétrées, ce n’est point une lacune de l’ordre religieux, mais de l’ordre philosophique, et la preuve que la philosophie grecque a eu sur eux moins d’influence qu’on ne l’admet quelquefois.

Ce qui a brisé dans Israël la solidarité nationale des anciens jours, ce n’est point un aperçu sur la nature humaine en soi, à laquelle tous les individus participent de la même manière, c’est l’ébranlement produit par l’invasion de l’hellénisme et la résistance du sentiment religieux. Des Juifs qui dissimulaient leur circoncision pour paraître dans les gymnases ou qui même brûlaient de l’encens au Zeus Olympien n’étaient plus des Juifs, mais des scélérats qui se réprouvaient eux-mêmes en s’assimilant aux Gentils. Et si on rencontrait parmi ces derniers des hommes justes, tolérants, ou même bienveillants pour les Israélites fidèles, n’étaient-ils point meilleurs que les renégats, à tout le moins plus excusables ? Les guerres civiles ont ici produit leur effet naturel, et les guerres religieuses sont les plus atroces des guerres civiles. L’antithèse n’était plus Juifs et Gentils, mais justes et pécheurs, fidèles et renégats, quelquefois, d’une façon très concrète, Pharisiens et Sadducéens.

Obligés de prendre parti, les voyants ont-ils des tendances universalistes ? Leur attention est certes plus attirée vers le sort des Gentils ; ils comprennent mieux que toute l’humanité a les mêmes destinées ; ils ne peuvent plus, quand il s’agira de la fin du monde, se concentrer dans le seul Israël. On peut donc parler d’un certain universalisme de leur intelligence ; serait-ce que le cœur, lui aussi, est devenu plus large ? Non, car ces Gentils sont idolâtres, et leurs pratiques