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par lui, comblés de biens, et inondés de sa lumière. Mais le soupir de l’âme éloignée de son bien, le désir passionné de le rejoindre pour lui être uni, sont absents de ces livres comme aussi l’assurance du psalmiste de le posséder dès ici-bas. On lit une seule fois du bonheur futur : « ils seront tous à Dieu » [1], de même qu’il est dit dans le livre de la Sagesse : « leur récompense est dans le Seigneur » [2]. Mais ce trait est isolé, et il serait fort exagéré de parler d’union à Dieu dans les autres descriptions paradisiaques, d’ailleurs relevées et spirituelles. Esdras considère comme le suprême bonheur des élus avant la béatitude définitive, l’espérance de voir celui qu’ils ont servi sur la terre[3]. La vie future c’est la vie, une vie glorieuse, dans la lumière, et aussi un festin qu’on peut se représenter comme très spirituel. Les apocalypses sont, ici encore, dans le courant le plus orthodoxe de la révélation, mais il faut constater que toute cette lumière enflamme peu le cœur. Quelle folie, semble dire Baruch, de perdre son âme en préférant le monde présent au monde futur ! Or, dans ce monde futur, la curiosité intellectuelle sera pleinement rassasiée ; on pourra satisfaire à son gré les désirs les plus extravagants[4], mais Dieu n’est pas nommé. Tous ces voyants des apocalypses qui parlent sans cesse des justes et des méchants auraient-ils su dire quel est le premier commandement, celui qui résume la Loi et les Prophètes ?

Et à coup sûr ils auraient été fort embarrassés sur le second. Avec le commandement d’aimer Iahvé son Dieu, l’Israélite avait reçu celui d’aimer son prochain. Ce prochain c’était Israël lui-même. Dévots à un même Dieu, protégés par lui et combattant ses guerres, les Israélites avaient une raison de s’aimer qui n’était pas seulement dans le lien du sang ; elle avait déjà un fondement religieux. On fait honneur à l’apocalyptique d’avoir agrandi l’ancien horizon, et, comme le Dieu d’Israël était devenu plus expressément le Dieu du monde, l’idée de l’humanité ou de l’individu aurait remplacé l’image absorbante d’Israël. Si l’on entend par là une doctrine propre à l’apocalyptique ou dégagée par elle, cela est évidemment faux. Le Serviteur de Iahvé,

  1. Hén. i, 8 : καὶ ἔσονται πάντες τοῦ Θεοῦ. Encore, d’après le contexte, s’agit-il d’être sous la providence et la lumière de Dieu, plutôt que d’être uni à lui. Cf. dans Hén. xxxviii, 4 ; xlv, 4 ; lviii, 6, au livre des Paraboles.
  2. Sap. v, 15.
  3. Septimus ordo… festinant enim videre vultum eius cui serviunt viventes et a quo incipiunt gloriosi mercedem recipere (IV Esdras, vii, 98).
  4. Videbunt enim mundum qui invisibilis est eis nunc, et videbunt tempus quod nunc occultatum est ab eis… in excelsis enim illius mundi habitabunt, et assimilabuntur angelis, et aequabuntur stellis, et erunt transmutati in omnem formam quam voluerint, etc. (Apoc. Baruch, li, 8 ss.).