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On ne pouvait exprimer plus fortement l’intensité de l’action divine. Mais enfin c’était lui, le roi, qui prenait les villes. D’après Baruch, ce sont les anges qui ont détruit Jérusalem et non les Chaldéens[1]. Les hommes ne sont donc plus que des marionnettes ; le public peut s’y tromper ; le voyant aperçoit les fils qui font mouvoir les personnages et parfois même ceux qui les tiennent.

C’est ce qu’on a nommé le déterminisme de l’apocalyptique. A vrai dire, il n’est jamais absolu au point de nier la liberté humaine, car nos voyants sont très soucieux au contraire de marquer les responsabilités. Il suffit cependant pour donner à l’histoire, — cette histoire qui n’est plus qu’une vision de l’avenir, — l’aspect d’une machinerie qui se déroulerait suivant un plan convenu. De là aussi les tournures passives qui sont un des traits de ce style. Les choses sont faites, plutôt qu’elles ne se font, par des agents invisibles et presque impersonnels ; malgré sa claire vue, l’auteur ne peut pas toujours démêler tous les ressorts de la mécanique divine ; il ne peut que constater son fonctionnement sans distinguer toujours ceux qui la mettent en branle. « Les livres furent ouverts »,… « son nom fut nommé »,… « des cordes furent données » [2]… Aussi le voyant a-t-il constamment besoin d’être assisté pour comprendre la raison des choses. Les images sont équivoques, les acteurs ne parlent pas ; il faut qu’un ange se trouve là à point nommé pour donner un sens à cette représentation muette. Les anges sont à la fois acteurs et exégètes, exégètes des causes surnaturelles, même lorsqu’ils expliquent le cours des astres[3]. Tout se succède dans ce cinématographe, sauf la nature toute pure, qui n’apparaît jamais.

C’est décidément, répétons-le, un spectacle. Or il est d’un sage impresario de préparer d’avance tous les décors, et d’avoir tous les figurants sous la main. Faut-il s’étonner que les principaux acteurs et les principales pièces du drame eschatologique soient déjà censés existants au temps du voyant, cachés derrière la scène, dans les conseils de Dieu ? Ils sont donc préexistants par rapport au moment où ils joueront leur rôle, mais le voyant n’est-il pas censé voir se dérouler dans l’avenir des événements déjà passés ? Qu’importe le passé, le présent et l’avenir pour celui qui contemple tout dans la détermination divine ? Le Messie et la Jérusalem nouvelle sont présents à la

  1. Apoc. Baruch, vii, 1 : Et post haec audivi angelum dicentem angelis qui tenebant lampades : diruite ergo et subvertite muros eius usque ad fundamenta, ne glorientur hostes et dicant : nos subvertimus murum Sion, et incendimus locum Dei fortis.
  2. Hénoch éth. xlviii, 3 ; xlviii, 3 ; lxi, 1.
  3. Uriel montre à Hénoch ceux qui guident les étoiles (Hén. lxxx, 1).