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On le voit circuler dans Jérusalem, annonçant par son costume le destin de l’Égypte menacée par le Tartan de Sargon[1] ; il menace, il détourne, il persuade ; et cependant cet orateur énergique, orateur presque dans le sens d’homme politique, comme on l’était à Athènes, de Périclès à Démosthène, est encore ce que nous nommons un Prophète, car il a toujours devant les yeux l’avenir, tel que Dieu le réalisera certainement à son heure. Pour tous les prophètes d’action, le salut, promis par Dieu, entrevu par eux et annoncé au peuple, était toujours dans la perspective des événements auxquels ils prenaient part.

Après le retour de la captivité, après Aggée et Zacharie, les lointains de l’avenir apparurent de plus en plus comme cachés dans les secrets de Dieu. Les Assyriens et les Chaldéens avaient servi de fléaux de Dieu et d’instruments de sa justice ; Cyrus avait été, de la même manière, un Sauveur élu par Dieu. Mais après cela on ne voit plus les ennemis occuper sous leur nom propre les premiers plans de l’horizon prophétique. Les espérances se rattachent vaguement à la fin des temps, ou, plus vaguement encore, à ce temps-là, à ce jour-là, au jour choisi par Dieu, au jour de Dieu…

Et, peu à peu, le rôle actif du prophète diminue. Les faux prophètes avaient fatigué la nation par leurs assurances précises d’événements qui ne se réalisaient jamais. Le prophétisme avait rempli ses destinées. On ne vit plus paraître de prophètes. On savait bien que Dieu se réservait d’en envoyer encore. On attendait un prophète qui fût reconnu et authentique[2], mais personne n’osait plus en revêtir le manteau.

On peut lire dans Zacharie à quel traitement se serait exposé celui qui aurait osé assumer le rôle des Isaïe et des Jérémie[3].

Pendant le gouvernement des Perses, et durant la première période de l’hellénisme, sous le joug assez léger des Ptolémées, la prophétie demeura muette. Durant la persécution d’Antiochus Épiphane, elle n’était plus là pour soutenir la lutte contre les influences étrangères, quelquefois secondées par le sacerdoce ; et cependant les nécessités du temps étaient pressantes ; il fallait réveiller les âmes, les secouer par la crainte du jugement, les animer par une grande espérance. Or cet espoir était celui de l’ancien Israël, annoncé par les prophètes. Emprunter les traits d’un de ces hommes de Dieu qui avaient laissé un souvenir impérissable, qu’on se représentait volontiers comme

  1. Is. xx.
  2. I Mac. xiv, 41.
  3. Zach. xiii, 2 ss.