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« Lorsqu’ils seront arrivés, les villes naguère ruinées seront rebâties, le désert sera habité et la terre stérilisée deviendra fertile, de sorte que le bonheur des pères et des ancêtres paraîtra peu de chose au prix des biens inépuisables du présent ; découlant de la grâce de Dieu comme de sources perpétuelles ils donneront à chacun en particulier et à tous en commun une richesse victorieuse de l’envie » [1]. Les ennemis des nouveaux convertis seront vaincus.

Tous ces traits sont traditionnels quoique estompés. Il est impossible de regarder le messianisme de Philon comme un facteur important de sa doctrine, ni comme une création tout à fait originale. Cependant c’est bien lui. Il semble que, suivant sa coutume, il en a conservé les traits en les conciliant avec ses idées philosophiques et aussi avec les préjugés hellénistiques. Présenter le messianisme comme l’apanage de sa nation, comme une revanche politique ou sociale, comme un privilège dû à sa race, c’eût été s’exposer à provoquer plus de résistances que de sympathie. En apparence, Philon propose le bonheur rêvé comme la récompense des sages, de ceux qui pratiquent la loi naturelle et la vertu. Mais ceux-là se trouvent être des Juifs, à cause de l’excellence de la loi mosaïque qui est la règle de leurs actions. Comme d’autre part Philon accueillait très largement les prosélytes, il pouvait soutenir que la félicité à venir était promise et due à la seule vertu. Et cela était une conciliation qui dissimulait l’âpreté des revendications nationales. Le Messie personnel n’avait pas grand’chose à faire dans une conception stoïcienne, où chaque sage est roi.

Il y aurait eu une autre manière de rendre le messianisme sympathique aux Grecs. C’eût été de déclarer qu’il n’y avait plus ni Juifs, ni Grecs. Philon, demeuré Juif, et très Juif, malgré ses prétentions à une culture hellénistique, n’y a évidemment pas songé. Il aurait pu se rapprocher de saint Paul d’une autre manière. Le peuple juif était pour Philon, qui a sans doute emprunté cette pensée à l’Exode[2], un peuple de prêtres, chargé de prier pour tous les hommes, de détourner d’eux les maux et de leur obtenir les biens[3]. Il y a plus. Le vêtement même du grand prêtre indiquait qu’il devait prier, non seulement pour le peuple mais encore pour tous les hommes, et non seulement pour tous les hommes, mais encore pour tout le monde

  1. De exsecrationibus, xix.
  2. Ex. xix, 6 : ὑμεῖς δὲ ἔσεσθέ μοι βασίλειον ἱετάτευμα καὶ ἔθνος ἅγιον.
  3. … ἔθνους, ὅπερ ἔμελλεν ἐξ ἁπάντων τῶν ἄλλων ἱερᾶσθαι τὰς ὑπὲρ τοῦ γένους τῶν ἀνθρώπων αἰεὶ ποιησόμενον εὐχὰς ὑπέρ τε κακῶν ἀποτροπῆς καὶ μετουσίας ἀγαθῶν (De vit. Mos. I, xxvii ; Cohn, 149).