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de leurs pensées, doivent encore jouir de la richesse sur la terre. Bien plus, ils auront tous des enfants qui puissent en hériter, mais le plus tard possible, car ils mourront dans une heureuse vieillesse. Tel sera l’empire des saints : « si donc un homme est tel dans une ville, il paraîtra au sommet de la ville ; si c’est une ville, au-dessus de la contrée environnante ; si c’est une nation, elle dominera toutes les nations comme la tête domine le corps, afin d’être vue, non pas tant pour la gloire que pour l’utilité de ceux qui contemplent ce spectacle » [1]. Cette nation qui domine révèle la pensée intime de Philon. C’est bien là qu’il veut en venir. Mais il n’entend pas arguer d’un privilège accordé à ceux de sa race par le choix exclusif de Dieu. Il raisonne d’une façon générale sur la supériorité du sage et le droit que sa vertu lui donne de commander. Il suffit ensuite, par une habile gradation, d’attribuer à une cité, puis à un peuple, ce que la philosophie accorde au sage particulier. Une autre métaphore lui rendra le même service : « la tête du genre humain, c’est l’homme vertueux ou le peuple vertueux ; tous les autres sont comme des parties du corps animées par les puissances qui sont dans la tête et en haut » [2]. Or il va sans dire que le peuple vertueux, c’est le peuple juif, celui qui n’est ni de la terre, ni du ciel, mais de Dieu même.

Aussi bien, avec la haute idée qu’il a de l’âme, Philon regarde l’individu lui-même comme un monde en abrégé, et c’est, — chose assez étrange, — à l’individu qu’il applique la notion du royaume de Dieu.

Après avoir résumé les biens extérieurs que nous pouvons dire messianiques : vaincre les ennemis, l’emporter dans la guerre, vivre en paix et jouir de l’abondance, richesse, honneurs, gloire, il revient sur un bien plus personnel à l’homme, la santé. Cette époque ne sera pas tellement surnaturelle qu’il n’y ait quelques maladies ; mais elles seront ordonnées au bien de l’âme, et il semble qu’elles cesseront quand l’âme aura atteint la perfection. Car Dieu donne à une âme dont les puissances sont bien réglées un corps qui soit en harmonie avec elles, afin qu’elle puisse contempler en toute tranquillité. Alors, faisant allusion à un texte qui parlait d’Israël[3], Philon l’applique au sage et déclare que « c’est de lui que le prophète dit qu’il s’y promènera comme dans un royaume, car la pensée du sage est vraiment un royaume et la maison de Dieu » [4].

  1. De praemiis, xix.
  2. De praemiis, xx.
  3. Lév. xxvi, 12 : καὶ ἐνπεριπατήσω ἐν ὑμῖν καὶ ἔσομαι ὑμῖν Θεὸς καὶ ὑμεῖς ἔσεσθέ μου λαός.
  4. De praemiis, xx.