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harmonie avec l’ordre du monde, lui-même, quand il la pratique, en est le meilleur citoyen[1].

Il ne cesse pas pour cela d’être dans un rang à part. Parmi les hommes, il y a ceux qui tirent leur origine de la terre, ceux qui viennent du ciel, et ceux qui viennent de Dieu[2]. Les premiers sont adonnés à la chair et au sang, les seconds suivent les lumières de la raison, les troisièmes, les enfants de Dieu, sont les Israélites. Ils sont donc meilleurs que les meilleurs, et forment une catégorie spéciale. On comprend que Dieu leur réserve certains biens.

Mais ne sont-ils pas déjà en possession de la Loi ? Philon admire surtout la loi naturelle ; il ne peut cependant mettre la loi de Moïse en opposition avec cette loi primordiale. Si elle en est distincte, c’est comme l’expression plus claire des principes du droit naturel. Il se réjouit de voir que dans le monde entier elle est connue et admirée. Tandis que chaque nation a ses lois et n’éprouve aucun attrait pour celles des étrangers, par une exception unique[3], la loi de Moïse est non seulement estimée de tous, elle est pratiquée partout, surtout dans le repos hebdomadaire qu’elle prescrit. On peut donc prévoir et espérer qu’elle fera de nouvelles conquêtes. D’ailleurs, sa durée doit être éternelle. Ne pouvait-on pas concevoir l’avenir heureux promis aux Israélites et leur triomphe sur les nations comme la lumière partout répandue de la Loi ? Une pareille conception n’est-elle pas digne d’un philosophe qui a su comprendre que l’unité de Dieu et celle du genre humain supposaient des destinées ultimes communes, sauf la distinction entre les bons et les méchants ?

C’est pour des raisons semblables, et en s’appuyant sur certains textes, que M. Bréhier concluait naguère encore :

« Ainsi cette seule idée reste vivante chez Philon de toute l’eschatologie juive : l’avenir de la Loi qui doit devenir universelle. Tout le reste vient s’imposer à lui comme un cadre sans valeur, ou bien devient symbole du progrès moral intérieur » [4].

Et il est vrai que le messianisme tient une très petite place dans les

  1. Ὡς καὶ τοῦ κόσμου τῷ νόμῳ καὶ τοῦ νόμου τῷ νόμῳ συνᾴδοντος, καὶ τοῦ νομίμου ἀνδρὸς εὐθὺς ὄντος κοσμοπολίτου, πρὸς τὸ βούλημα τῆς φύσεως τὰς πράξεις ἀπευθύνοντος, καθʹ ἣν καὶ ὁ σύμπας κόσμος διοικεῖται (De mundi opif. I, Cohn, 3).
  2. Οἱ μὲν γῆς, οἱ δὲ οὐρανοῦ, οἱ δὲ θεοῦ γεγόνασιν ἄνθρωποι (De Gigant. xiii, Wendland, 60).
  3. Vit. Mos. II, iv (Cohn, 20 s.) : ἀλλʹ οὐχ ὧδʹ ἔχει τὰ ἡμέτερα· πάντας γὰρ ἐπάγεται καὶ συνεπιστρέφει, βαρβάρους, Ἕλληνας, ἠπειρώτας, νησιώτας, ἔθνη τὰ ἑῷα, τὰ ἑσπέρια, Εὐρώπην, Ἀσίαν, ἅπασαν τὴν οἰκουμένην ἀπο περάτων ἐπὶ πέρατα. Τίς γὰρ τὴν ἱερὰν ἐκείνην ἑβδόμην οὐκ ἐκτετίμηκεν…
  4. E. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, Paris, 1908, p. 10.