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par l’autorité romaine, si les choses avaient suivi un cours régulier. Le régime romain, les premières duretés de la conquête passées, n’était pas généralement regardé comme un joug intolérable. Plus d’une fois les Juifs sensés l’avaient appelé de leurs vœux. Comme Agrippa II le leur dit avec beaucoup de bon sens, ils y étaient déjà accoutumés. Si l’on avait voulu lutter contre Rome, c’était au début, au temps de Pompée, qu’il eût fallu grouper toutes les forces de la nation contre une domination mal assise. On risquait d’ailleurs de compromettre la situation des Juifs répandus dans le monde romain, dont les riches aumônes alimentaient largement le culte du temple. Ce culte était si peu menacé que l’empereur n’avait jamais cessé de faire offrir des sacrifices. Lorsque Caligula, dans un moment de folie, avait prétendu substituer sa personne au Dieu d’Israël, les Juifs s’étaient noblement offerts à mourir plutôt que de souffrir ce sacrilège, avec une telle modération dans les termes d’une opposition inflexible, qu’ils avaient mis de leur côté le gouverneur de Syrie. Dans le monde romain tout entier, jamais ils n’avaient été sacrifiés à la haine des Grecs qu’ils bravaient et même qu’ils provoquaient souvent, toutes les fois qu’ils avaient su mettre en avant la liberté religieuse. Tout pouvait donc s’arranger, même après que les armes romaines eurent essuyé l’affront sanglant de la retraite de Cestius.

Et cependant le parti de la guerre avait déjà posé le principe qui devait la rendre inévitable et inexpiable. C’est du Temple qu’elle partit, lorsque, sous l’impulsion d’Éléazar, capitaine de la garde sacrée, on refusa d’accepter les victimes pour les Romains et pour César[1].

Les grands, les principaux prêtres, les docteurs Pharisiens les plus en renom, donc le sanhédrin, c’est-à-dire l’autorité régulière de la nation, protestèrent, alléguant la coutume et la raison. Tout fut inutile. La guerre religieuse était commencée, et bientôt le vertige s’empara de ceux mêmes qui avaient le mieux compris l’impossibilité de la lutte.

Ce fait serait inexplicable si les mémoires n’avaient pas été hantées du souvenir des Macchabées. Au temps d’Antiochus Épiphane, les Juifs n’avaient eu le choix qu’entre l’apostasie et la mort. Dieu n’avait pas trompé la confiance héroïque de son peuple et l’avait secouru. Ensuite, grâce aux divisions intestines des Séleucides, à l’appui des Romains, à l’esprit politique et militaire de la jeune dynastie Asmonéenne, le royaume juif s’était formé, aussi prospère que dans les temps anciens. L’erreur des Juifs fut de prendre pour de la faiblesse

  1. Bell. II, xvii, 2.