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finités ethniques avec les Arabes que les Juifs. Les chances du judaïsme étaient donc considérables. Si l’entraînement ne fut pas plus décisif, cela tint sans doute à ce que, même là, le judaïsme ne cessa point d’être une religion nationale. Les Juifs des environs de Médine étaient arabisés ; on sentait toujours la différence : c’étaient encore des Juifs. Avec le soin jaloux des tribus arabes de conserver leur indépendance et la pureté de leur sang, une compénétration complète était bien difficile. Beaucoup d’Arabes ne voulaient plus de leur ancienne religion, mais ils voulaient une religion à eux, une religion arabe. Le génie de Mahomet et les circonstances firent ce prodige.

Peut-être les Juifs y contribuèrent-ils plus qu’on ne pense, par leurs espérances messianiques. Elles se perpétuaient là comme ailleurs. Lorsque Abou Karib (vers 206 après J.-C.), tobba des Himyarites, assiégeait Médine, occupée alors surtout par les tribus juives des Corayzha et des Nadhîr, « deux savants docteurs Israélites allèrent le trouver et le prévinrent que s’il s’obstinait à vouloir détruire Yathrib, il s’exposait à un châtiment terrible du ciel. « Pourquoi cela ? demanda le roi. — C’est, répondirent-ils, parce que cette ville est destinée à servir de retraite à un prophète qui doit paraître dans Les derniers temps, et qui, chassé de sa patrie, fera ici sa résidence[1] ». Dans ces termes l’anecdote est plus que suspecte : elle vise Mahomet ; mais l’espérance messianique peut très bien être authentique. Abou Karib et Dhou Nowâs furent sans doute salués par quelques Juifs du titre de Messie[2], à plus juste titre que Vespasien par Josèphe, puisqu’ils combattirent pour eux.

Les Juifs eux-mêmes étaient plus portés à l’agriculture qu’à la guerre. Aussi les tribus juives de Yathrib ne purent-elles résister aux Aus et aux Khazradj, tribus idolâtres qui les opprimèrent assez durement. On se consolait par l’attente du Messie. « Les Aus et les Khazradj avaient souvent entendu les Juifs leurs compatriotes parler de l’apparition prochaine d’un prophète qui soumettrait le monde à son empire, et s’écrier dans les moments où ils se sentaient opprimés : « Qu’il vienne, ce Messie ! nous serons les premiers à le suivre. Avec son aide puissante, nous secouerons votre joug et nous vous détruirons[3] ».

Quand Mahomet parut, quelques-uns des Khazradj se dirent que cet homme était sans doute l’envoyé du ciel, dont les Juifs les mena-

  1. Caussin de Perceval, I, p. 92.
  2. Dans l’interrogatoire de saint Arétas (Ḥirut), l’un des grands lui dit : « Ne savez-vous pas que le roi des Juifs est l’oint du Seigneur ? » ; ce qui indique du moins que Dhou Nowâs était regardé comme le légitime héritier des rois d’Israël ou de Juda, ou plutôt comme le Messie (dans le texte éthiopien, Fell, l. l., p. 60).
  3. Caussin de Perceval, I, p. 409.