Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’esprit conciliant ou même obséquieux de leurs rabbins, que les Juits durent la protection et souvent la faveur du pouvoir. Sans cet appui qui leur fit rarement défaut, ils auraient peut-être succombé devant la haine générale qu’ils ont plus d’une fois provoquée.

Les Juifs voulaient devenir citoyens, pour jouir des privilèges de la cité sans en supporter les charges. C’est M. Théodore Reinach qui marque cette contradiction étonnante « non pas que, dans les idées des anciens, on ne pût appartenir à deux patries à la fois ; mais parce que les juifs voulaient cumuler les droits des citoyens avec le maintien de leurs propres privilèges, avec leur autonomie financière et judiciaire, avec l’exemption du service militaire etc. »[1].

Il fallut une merveilleuse souplesse aux chefs religieux de la nation pour faire entrer l’Empire dans ces vues. Ils y réussirent cependant, et lorsque, depuis Caracalla, tous les sujets de l’Empire devinrent citoyens romains, de même qu’ils avaient été des peregrini privilégiés, ils furent des citoyens privilégiés.

Situation singulière, puisqu’ils quémandaient ces faveurs sans renoncer à leurs aspirations, dont le premier article était la chute de l’Empire, gage de l’avènement du Messie.

En attendant ce moment, les rabbins avaient grand soin de maintenir la chaîne de l’autorité et de la tradition. Rab, le plus célèbre des amoras, louait Iehouda ben Baba d’avoir, avant sa mort, sauvé la continuité de la jurisprudence légale et de l’autorité religieuse, en imposant solennellement les mains, malgré la défense des Romains, aux élèves d’Aqiba qui n’avaient point encore reçu l’ordination, et sur lesquels reposait alors l’espoir de la tradition juive[2].

Rome dura cependant longtemps encore, et lorsqu’elle succomba, les Juifs, privés de la sécurité qu’ils aimaient, furent lancés dans des tempêtes plus rudes.

    ou moins étendus, mais exerçant leur action dans un domaine restreint, avec l’autorisation ou, du moins, la tolérance des autorités ».

  1. Article Judaei, p. 626.
  2. Bacher, Die Agada der Tannaiten, i2, p. 404. L’ordination, ממיעה, n’a aucun rapport avec l’exercice du sacerdoce. C’est une promotion au titre de Rabbi, la transmission de l’autorité doctrinale et de la juridiction ; cf, « Ordination et autorisation » par A. Epstein (Revue des ét. juives, t. XLVI, p. 197-211) et b. Sanh. 55 : « Lorsque Rab alla en Babylonie, R. Hiyya dit à Rabbi : Mon neveu va en Babylonie, peut-il enseigner (rendre des décisions rituelles) ? — Il peut le faire (répondit Rabbi). — Peut-il juger (des procès civils) ? — Il le peut » (trad. Epstein). Ainsi Rab qui voulait fonder en Babylonie une Académie indépendante de l’exilarque prenait l’autorisation du patriarche palestinien, chef de l’Académie qui avait succédé au Sanhédrin.