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Cette attitude, loin d’être exceptionnelle, est plutôt normale. Le judaïsme dirigeant avait foi dans la supériorité de sa doctrine et de ses mœurs ; il avait foi dans la restauration future du temple et du culte ; le temps travaillait pour lui, et Dieu interviendrait au moment voulu. La principale préoccupation des maîtres qui survécurent à la ruine fut de pratiquer de la Loi ce qui pouvait encore être pratiqué, le sabbat, la circoncision, les lois sur la pureté et l’impureté, en conservant soigneusement les ordinations relatives au culte pour le temps où il serait rétabli.

La résidence qu’ils avaient choisie favorisait cette indifférence. Dès le début de la guerre, Vespasien avait établi à Iamnia (ou Iabné) et à Lydda comme une sorte de colonie des Juifs qui s’étaient donnes à lui, ne voulant pas se battre[1]. C’est dans ces deux villes qu’enseignèrent, à la fin du premier siècle et au début du second, les rabbins les plus fameux. C’est à Iabné que Iokhanan avait fondé, non plus un sanhédrin, mais une Académie[2]. L’assemblée avait encore une autorité considérable, surtout dans l’ordre spéculatif ; elle s’efforça de maintenir l’unité du judaïsme, d’exercer une juridiction, d’empêcher les Romains de s’immiscer dans toutes les affaires de la nation. Mais elle ne pouvait prétendre à une action politique, et ces exégètes n’avaient ni estime, ni goût pour le métier des armes.

Cependant à côté de cette petite capitale de scribes, les ruines de Jérusalem et du Temple parlaient encore très haut.

On n’est pas d’accord sur l’importance que reprit alors Jérusalem.

M. Schlatter me paraît avoir démontré que la ville juive revécut[3].

Josèphe nous dit bien que la ville fut rasée jusqu’au sol, au point qu’on n’eût pu dire si elle avait été habitée[4].

Mais l’histoire nous apprend, et nous voyons en Orient de nos yeux, ce qu’il faut penser de ces populations exterminées et de ces villes détruites. Elles renaissent parfois comme par enchantement.

Le même Josèphe suppose assez clairement que l’accès des ruines ne fut pas interdit aux Juifs, même dès les premiers temps. Il eût été bien dur de les empêcher de venir pleurer, se lamenter, déchirer leurs vêtements, du moins les vieillards et les femmes[5].

Avec le temps tous passaient. Les pèlerinages étaient dans les mœurs,

  1. Josèphe, Bell. IV, viii, 1.
  2. Bacher, Die Agada der Tannaiten, I2, p. 23.
  3. Die Tage Trajans und Hadrians, dans les Beiträge zur Förderung christlicher Theologie, 1897, p. 68-87.
  4. Bell. VII, i, 1 : τὸν δʹ ἄλλον ἅπαντα τῆς πόλεως περίϐολον οὕτως ἐξωμάλισαν οἱ κατασκάπτοντες, ὡς μηδεπώποτʹ οἰκηθῆναι πίστιν ἂν ἔτι παρασχεῖν τοῖς προσελθοῦσι.
  5. Bell. VII, viii, 7 (éd. Niese 377) : πρεσβῦται δὲ δύστηνοι τῇ σποδῷ τοῦ τεμένους παρακά-