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vous avez trouvé un prosélyte, vous en faites un fils de la géhenne, deux fois plus que vous »[1].

Le circoncis est bien un prosélyte complet. On se défie encore de lui, nous l’avons vu ; mais il n’en est pas moins incorporé à la race. Son père évidemment ne l’était pas.

Ce n’est point par hasard que Juvénal a employé deux fois en quelques vers le terme de crainte. Dans son texte il n’a pas de sens technique, mais l’emploi en était suggéré par l’expression devenue courante : un craignant, metuens, était celui qui révérait et craignait le Dieu des Juifs. L’expression se retrouve fréquemment daus le Nouveau Testament[2] où l’on voit apparaître, comme une classe distincte, les « craignants Dieu ». Jusqu’à ces derniers temps on les appelait « prosélytes de la porte », par opposition aux « prosélytes de la justice », mais M. Schürer a rejeté avec raison ce terme, qui n’apparaît dans le rabbinisme qu’au xiiie siècle, et qui ne s’applique même pas à eux. Cette qualification abolie, M. Bertholet a fait un pas de plus et proposé de les assimiler complètement aux prosélytes. Mais c’est là une exagération manifeste. Les textes indiquent assez clairement que ces « craignants » n’étaient pas circoncis. Or, qui n’était pas circoncis n’était pas vraiment prosélyte, c’est-à-dire rattaché à Israël. Et il ne pouvait vraiment pas en être autrement. C’était beaucoup qu’un païen abandonnât le culte des idoles et l’adoration de plusieurs dieux pour se convertir au dieu d’Israël, qu’il confessait être le seul vrai Dieu. Peut-être tous les craignants Dieu ni surtout tous ceux qui envoyaient des offrandes au Temple de Jérusalem n’en étaient-ils pas là[3]. Mais cela même ne suffisait pas.

Reconnaître le Dieu d’Israël, ce n’était pas encore lui rendre un culte ; or le culte seul constituait l’association religieuse ; et comment lui rendre un culte si ce n’est sous la forme qu’il avait lui-même prescrite ? Nous l’avons dit : le dogme judaïque, comme dogme religieux, n’était pas seulement la conviction théorique de l’unité de Dieu, c’était l’affirmation qu’il avait donné une loi à son peuple. On

  1. Mt. xxiii, 15.
  2. ϕοϐούμενοι τὸν Θεόν, Actes, x, 2. 22 ; xiii, 16. 26 ; σεϐόμενοι τὸν Θεόν, Actes, xiii, 45. 50 ; xvi, 14 ; xvii, 4 ; xvii, 17 ; xviii, 7, ou même σεϐόμενοι tout court, Actes, xiii, 50 ; xvii, 4 ; xvii, 17. Une seule fois σεϐόμενοι προσήλυτοι, Actes, xiii, 43. Σέϐομαι signifie dans le grec classique la piété ; mais les Septante l’ont souvent employé pour traduire la crainte religieuse ; de là cette synonymie.
  3. Josèphe distingue ces trois catégories : les Juifs, les craignants Dieu et ceux qui ont fait des offrandes probablement par une vague sympathie ou par politique : Θαυμάσῃ δὲ μηδείς, εἰ τοσοῦτος ἦν πλοῦτος ἐν τῷ ἡμετέρῳ ἱερῷ πάντων τῶν κατὰ τὴν οἰκουμένην Ἰουδαίων καὶ σεϐομένων τὸν θεὸν ἔτι δὲ καὶ τῶν ἀπὸ τῆς Ἀσίας καὶ τῆς Εὐρώπης εἰς αὐτὸ συμϕερόντων ἐκ πολλῶν πάνυ χρόνων (Ant. XIV, vii, 2).