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Pendant que mon fâcheux me tient ces discours, survient Fuscus Aristius, mon ami… « À propos, lui dis-je, tu avais je ne sais quel secret à me dire ? — Je m’en souviens bien, mais je prendrai mieux mon temps ; c’est aujourd’hui le trentième sabbat : voudrais-tu faire la nique aux Juifs circoncis ? — Oh ! dis-je, je n’ai pas de superstition. — J’en ai, moi ; j’ai l’esprit un peu faible, comme bien d’autres. Excuse-moi ; ce sera pour une autre fois »[1].

Ce dialogue, pris sur le vif, a toutes les apparences d’un trait de la vie romaine, trait fréquent, nous assure le satirique. Ce n’est point là une de ces calomnies atroces que le populaire ou les gens d’esprit répandaient contre les chrétiens. Il est impossible de douter que le judaïsme s’imposât à plus d’un Romain comme une autre superstition orientale, que du moins il ne fallait pas braver.

C’était aller plus loin que d’inaugurer le sabbat d’une façon positive, en allumant des lampes le vendredi soir et de se contenter d’une maigre cuisine. C’est ce que décrit Perse[2] :

Mais au retour des jours d’Hérode, lorsque sur les fenêtres dégouttant d’huile les lampes en rangée et ornées de violettes ont vomi une fumée grasse, quand une queue de thon nage au fond d’un plat de terre rouge et que la cruche blanche est remplie de vin, tu remues les lèvres en silence, et tu te pâmes aux sabbats des circoncis[3].

Tertullien est témoin des mêmes faits, s’il est permis de compléter ce qu’il dit des usages empruntés par les païens aux Juifs par la description des usages des Juifs[4].

Il juge, encore plus nettement qu’Horace, l’observation du sabbat compatible avec la profession de la religion païenne : c’est un emprunt fait à une religion étrangère, dans en temps ou l’on ne croyait pouvoir prendre trop de précautions pour s’assurer la protection des dieux étrangers en participant à leurs rites.

  1. Sat. I, ix, 60 ss. : Haec dum agit, ecce Fuscus Aristius occurrit… « Certe nescio quid secreto velle loqui te Aiebas mecum ? — Memine bene, sed meliore Tempore dicam : hodie tricesima sabbata ; vin’ tu Curtis judaeis oppedere ? — Nulla mihi, inquam, Relligio ’st. — At mihi : sum paullo infirmior, unus Multorum. Ignosces ; alias loquar ».
  2. Satire V, 176 ss. : At cum Herodis venere dies unctaque fenestra Dispositae pinguem nebulam vomuere lucernae Portantes violas, rubrumque amplexa catinum, Cauda natat thynni, tumet alba fidelia vino : Labra moves tacitus recutitaque sabbat palles.
  3. Nous sommes obligé d’abandonner la traduction de M. Reinach : « pâle encore du sabbat », car on allume les lampes avant, non après le sabbat. Aujourd’hui encore les Juifs mangent de préférence du poisson le samedi.
  4. Tertull., Ad nationes, i, 13 : Vos certe estis, qui etiam in laterculum septem dierum solem recepistis, et ex diebus ipso priorem praelegistis, quo die lavacrum subtrahatis aut in vesperam differatis, aut otium et prandium curetis. Quod quidem facitis exorbitantes et ipsi a vestris ad alienas religiones. Iudaei enim festi sabbata et coena pura et Iudaici ritus lucernarum cum azymis et orationes litorales, quae utique aliena sunt a diis vestris.