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le sabbat s’étendit rapidement dans l’Empire, et il n’est guère douteux que la division du temps par semaines ne vienne des Juifs.

C’est à propos du sabbat que Sénèque, cité par saint Augustin[1], se plaint que « les pratiques de cette nation scélérate ont si bien prévalu qu’elles sont reçues dans tout l’univers : les vaincus ont donné des lois aux vainqueurs ».

Le succès du sabbat tient vraisemblablement à deux causes. Les Juifs étaient partout, et ils avaient alors sans doute comme aujourd’hui le monopole de certains commerces, sans parler du maniement de l’argent. Quand ils se livraient à leur grève hebdomadaire, beaucoup d’industries étaient paralysées. Le plus simple était de chômer avec eux. On constate aujourd’hui en Orient un phénomène analogue. De grandes villes musulmanes, comme le Caire, ont pris l’habitude de célébrer le dimanche. A Jérusalem, le samedi est pratiquement un jour de repos pour une foule de petits métiers. Dans l’antiquité on n’était guère plus actif au travail que dans le monde de l’Islam. Le principe des jours néfastes était reconnu de tout le monde. Les Pontifes avaient diminué la rigueur de ces chômages forcés ; on trouva assez naturel, et même plus logique, de les répartir également le long de l’année, de semaine en semaine. C’est surtout l’oisiveté du sabbat qui frappe Ovide ; c’est un jour où l’on fait peu d’affaires[2] ; ce n’est pas le moment de voyager[3] ; les femmes y sont désœuvrées[4].

Donc pour le païen l’idée du chômage était naturellement liée à celle d’un jour néfaste. Violer le repos était s’exposer à quelque disgrâce. Plus d’un païen a dû penser que les Juifs n’étaient si scrupuleux observateurs du sabbat qu’à la suite de funestes expériences. Ce leur fut une raison de joindre la pratique du sabbat à leurs superstitions sur les mauvais présages. C’est ainsi que l’entendait Tibulle :

J’alléguais tantôt le vol des oiseaux, tantôt de funestes présages ; tantôt je prétendais célébrer le jour du Sabbat[5].

C’est aussi le cas de l’interlocuteur d’Horace :

  1. De civitate Dei, vi, 10.
  2. Ov., Ars amatoria, I, 415 s. : Quaque die redeunt, rebus minus apta gerendis, Cultu Palestino septima festa Syro.
  3. Remedium amoris, v. 217 s. : Nec pluvias opta, nec te peregrina morentur Sabbata, nec damnis Allia nota suis. Le rapprochement est intéressant. Le jour de la bataille de l’Allia était le plus strictement chômé de tous les jours néfastes.
  4. Ars amatoria, I, 75 s. : Nec te praetereat Veneri ploratus Adonis Cultaque Iudaeo septima sacra Syro.
  5. Élégies, I, iii, 17-18 : Aut ego sum causatus aves, aut omina dura, Saturnive sacram me tenuisse diem. Les textes sont empruntés au recueil de M. Théodore Reinach, Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au judaïsme.