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ou moins sérieuses de se joindre à Israël ; en d’autres termes, d’avoir des idées nettes sur les différentes sortes de prosélytes. Au moment où M. Schürer semblait avoir fait une complète lumière, M. Bertholet a élevé une grave contradiction. Assez souvent la confusion n’est que dans les termes ; raison de plus pour essayer d’en préciser le sens.

La base de la propagande juive, c’étaient naturellement les nombreux groupements juifs répandus dans tout le monde gréco-romain. C’était là un point d’appui d’autant plus solide que les Juifs de ces petites communautés étaient étroitement liés entre eux, d’une solidarité beaucoup plus étroite que celle qui rassemblait les sectateurs d’Isis ou de Mithra, puisqu’ils s’estimaient unis par le lien du sang. Ce trait a été noté par Tacite[1]. Lorsqu’il s’agissait de se soutenir entre eux, leur soumission habituelle faisait place à la turbulence ; on le savait si bien, même à Rome, que Cicéron n’a pas de honte à baisser le ton à cause d’eux : tant leur troupe était puissante, tant ils se tenaient entre eux, tant ils étaient puissants dans les assemblées[2]. Cependant ce qui faisait la force des Juifs était aussi une cause de faiblesse : on n’embrassait la religion juive qu’en devenant juif, c’est-à-dire en acceptant la circoncision, qui était précisément le signe qui permettait de distinguer la race. Mais alors on cessait d’appartenir à la patrie romaine, d’abord parce qu’on adorait un Dieu qui ne souffrait pas de partage, — et il en fut de même des chrétiens, — mais aussi parce qu’on était affilié par une marque personnelle et normalement indélébile à un peuple demeuré distinct, malgré sa dispersion. Or ce peuple ne consentait pas à fusionner avec les païens dans un très grand nombre de circonstances où les chrétiens eux-mêmes ne s’en faisaient pas scrupule, par exemple pour des cas nombreux de pureté ou d’impureté, de nourriture permise ou défendue[3].

Les païens étaient disposés à faire beaucoup d’avances et auraient accepté des transactions. Les premiers siècles de notre ère sont des temps de fusionnement, dans les idées et dans les mœurs. Les Romains décidés à se cantonner dans la pure tradition des ancêtres étaient peu nombreux ; on était à l’affût des idées nouvelles ; des mœurs étrangères étaient un attrait, plutôt qu’un obstacle. Mais on ne se donnait pas

  1. Hist., V, 6 : et quia apud eos fides obstinata, misericordia in promptu.
  2. Pro Flacco, c. xxviii, § 66 : Sequitur auri illa invidia Iudaici. Hoc nimirum est illud quod non longe a gradibus Aureliis haec causa dicitur ; ob hoc crimen hic locus abs te, Laeli, atque illa turba quaesita est : scis quanta sit manus, quanta concordia, quantum valeat in concionibus. Summissa voce agam, tantum ut iudices audiant…
  3. Les chrétiens ne mangeaient pas les viandes immolées, mais ne distinguaient pas entre les différentes espèces d’animaux, etc.