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nisme. Mais peut-on juger d’après l’Évangile de la conduite pratique des chrétiens ? La question serait mieux posée si l’on disait simplement que les agadistes sont demeurés fidèles à l’ancien idéal de l’Écriture. La législation et les réflexions qui l’accompagnent nous disent mieux ce que les docteurs pensaient, non plus du prosélytisme et de ses espérances, mais des prosélytes en chair et en os. Ils n’en attendaient pas grand’chose de bon. Le moment vint donc où le judaïsme se replia sur lui-même et se décida à n’attendre son salut que de la race[1] et de la Thora. En quoi il était guidé par un instinct très sûr : la Thora avait été donnée pour la race, ou plutôt elle était, avec quelques principes religieux venus d’en haut, la fidèle expression de ses mœurs et de son histoire.

M. Lévi dit encore : « Entre les aspirations nouvelles et les exigences de la législation ancienne, les docteurs, sous la pression des événements, ont opté pour celles-ci. Paul a choisi l’autre alternative ; ce fut son coup de génie[2] ». Le coup de génie de saint Paul ne pouvait se produire qu’à la suite d’un fait nouveau : la mission du Messie. Aucun génie, quel qu’il fût, no pouvait imposer au judaïsme de rompre avec la Thora révélée par Dieu, dans le but de donner satisfaction à des aspirations humaines, si auparavant l’intervention de Dieu n’avait été constatée. La tactique des rabbins était logique, dans la voie qui les conduisait à l’isolement. Ils y étaient conduits aussi par la loi romaine[3] qui ne permettait la circoncision qu’à eux et qui imposait ainsi à leur propagande une limite qu’elle n’était plus tentée de franchir.

M. Théodore Reinach nous dit aussi que le judaïsme aurait rencontré plus de sympathies « s’il avait su lui-même se dégager plus complètement de l’esprit étroitement ethnique, sacrifier au principal (l’enseignement religieux et moral) l’accessoire (les pratiques multiples et gênantes), achever en temps utile cette transformation d’une nation en une religion qui est à la fois le programme de son histoire et le problème de ses destinées[4] ».

Mais si le judaïsme cesse d’être une nation, s’il rejette de son autorité privée des pratiques que ses pères ont cru imposées par Dieu, lui

  1. D’ailleurs le prosélyte, même admis, n’eut jamais le droit de dire : « le Dieu de nos pères » (Bikkourim, i, 4) ; la distinction subsista donc toujours entre un Israélite de race et un prosélyte.
  2. L. l., p. 7, n. 1.
  3. Interdiction de circoncire les non-juifs, l. 11 pr. Dig. xlviii, 8 ; l. 3, § 5 et l. 4, § 2, ibid. Paul, Sent. V, 22, 4. Septime Sévère, Vita, c. xvii ; Origène, Contre Celse, ii, 13.
  4. Article Judaei, dans le Dictionnaire des antiquités.