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mots puéril qui aboutit à un contresens formel[1]. Et il est bien vrai que jamais une parole de réprobation aussi dure n’est devenue la loi du rabbinisme ; elle n’en est pas moins reproduite quatre fois dans le Talmud de Babylone[2].

Dans un de ces passages, elle est rapprochée d’une baraïtha qui n’est guère moins énergique : « Les prosélytes, de même que ceux qui jouent avec les enfants, retardent l’avènement du Messie[3] ». Les prosélytes ne valent donc pas mieux que ceux qui pèchent contre la nature, car c’est un vice de cette sorte qui est ici marqué[4].

On cite beaucoup d’autres passages qui montrent les appréhensions des rabbins. Un prosélyte était toujours prêt à fuir ou à se rendre quand un danger sérieux menaçait Israël, il ne parvenait jamais à observer parfaitement la Loi, il était toujours disposé à retourner en arrière[5].

M. Lévi ne rejette pas ces textes, mais il les juge moins propres à exprimer la véritable attitude des rabbins que ceux des agadistes qui sont plus favorables. « Chez ceux-ci, la note est presque toujours la même ; dans la prédication, les deux tendances ne se heurtent plus comme dans la législation ; une seule domine dans ces nombreux midraschim palestiniens, débris informes des homélies populaires de plusieurs siècles, c’est celle qui se réclame de l’exemple d’Abraham, père des prosélytes. Or, où se révèle l’idéal d’une société religieuse : dans son corpus juris ou dans ses sermonnaires ; dans son droit canon ou dans ses œuvres d’édification ? Est-ce dans les Évangiles ou dans la loi des Wisigoths que réside l’esprit du christianisme[6] ? » Sur ces comparaisons il y aurait beaucoup à dire. Les sermonnaires, comme les Évangiles, contiennent bien l’esprit et l’idéal du christia-

  1. ונספהו dans Is. xiv, 1, ne peut signifier que « ils s’uniront » ; mais R. Khelbo a feint de l’entendre dans le sens de ספחת, « pustule » ; la traduction de M. I. Lévi exprime comme il le fallait le sens de R. Khelbo, non celui d’Isaïe.
  2. Iebamoth, 47b et 109b ; Qiddouchin, 70b ; Niddah, 13b. M. Lévi essaie assez ingénieusement de prouver que le Talmud en reproduisant la formule ne la fait pas sienne. Il ne la rejette pas non plus !
  3. Niddah, 13b.
  4. והמשחקים בתינוקות expliqué : ceux qui épousent des jeunes filles trop jeunes pour avoir des enfants ; cf. plus haut, p. 194.
  5. C’est surtout la pensée de R. Khiya, de la fin du iie s. : « il ne faut pas avoir confiance dans le prosélyte jusqu’à la vingt-quatrième génération, car il reste attaché à son levain ». Cependant il ajoutait : « Mais, lorsque le prosélyte se soumet au joug de Dieu avec amour et respect et se convertit en vue du ciel, Dieu ne le repousse pas, car il est écrit : « Il aime le prosélyte ». Dans le Ialkouṭ sur Ruth, § 601, trad. Lévi, Revue des études juives, LI, p. 6. On voit bien dans ce seul passage le conflit entre le jugement personnel que le rabbin croit dicté par l’expérience, et l’autorité de la tradition exégétique.
  6. Revue des études juives, LXI, p. 28.