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La conciliation découlait donc assez naturellement du texte, mais, d’autre part, il offrait une difficulté dont nous n’apprécions peut-être pas assez la valeur, maintenant que nous connaissons la solution divine. Absolument rien dans le texte de Daniel, en dehors de l’apparence revêtue par l’être surnaturel, n’indiquait qu’il dût avoir une origine humaine. Il descendait du ciel, et aussitôt, il recevait la domination universelle.

Il n’est donc pas étonnant que le livre des Paraboles, tablant sur ce thème, n’ait assigné à l’Élu, à ce Fils de l’homme, aucune mission sur la terre que de détruire les pouvoirs opposés à Dieu, ce qui se déduisait assez facilement de Daniel. Dès lors, comme on ne pouvait plus se contenter de l’eschatologie temporelle du début d’Hénoch, la période terrestre messianique était réduite à très peu de chose, on peut dire au seul jugement. De sorte qu’en somme, au lieu de concilier réellement les anciennes promesses messianiques avec la vision de Daniel, l’auteur opte pour Daniel et développe, d’après quelques traits demeurés mystérieux, une théorie particulière de messianisme transcendant — qui n’est plus du messianisme. Le chef des âmes saintes ne vient sur la terre que pour châtier les coupables, juger, ressusciter les morts et inaugurer un monde nouveau. Ce mode paraissait tellement inhérent à l’imitation de Daniel, en tant que portant toute d’un seul côté, qu’Esdras lui-même, lorsqu’il revient à ce point de départ, n’insiste pas sur la période messianique comme distincte du monde futur[1], et que nous n’en aurions pas une idée nette si les autres passages ne faisaient la lumière sur ce point. Cette tentative de rehausser le Messie, de lui attribuer une origine surnaturelle, un rôle en dehors des conditions humaines, aboutissait donc en somme à une rupture avec la tradition. L’Élu, ce Fils de l’homme, n’est plus celui qu’avaient annoncé les prophètes, et si l’auteur dès Paraboles lui a vraiment donné le titre de Messie, ce qui est très douteux[2], il faisait violence à son sens naturel.

Aussi savons-nous très certainement que cette théorie a été écartée par l’opinion dominante. Esdras la mitige considérablement, Baruch ne fait même plus directement allusion à Daniel, les rabbins n’en connaissent rien que les réminiscences directement empruntées au prophète.

Cependant de Daniel, sinon spécialement des Paraboles d’Hénoch, découle un thème qui fera désormais partie essentielle du plan messia-

  1. Ch. xiii.
  2. Le mot Messie est-il authentique dans le livre des Paraboles ? voir plus haut, p. 93.