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d’être, il intervient dans l’histoire comme Messie. C’est au moment de la lutte suprême. Grâce à sa valeur, Israël triomphe de Gog, mais, comme Judas Macchabée, il demeure enseveli dans sa victoire. C’est tout ce qu’on peut dire de lui[1]. Il n’y a absolument rien dans sa carrière qui rappelle l’expiation, comme si on avait séparé en deux le Messie pour attribuer à l’un la gloire, à l’autre les souffrances. Et en effet, nous avons vu que les textes d’Isaïe — plus ou moins faussés — étaient appliqués au vrai Messie, et qu’on ne parle pas des souffrances, mais seulement de l’occision du Messie fils de Joseph. Aussi est-ce une question fort débattue que de savoir d’où est née l’idée de ce second Messie.

M. Lévy[2] croit que la mort violente de Bar-Kokébas en fut l’origine. Obligés de reconnaître qu’il n’était pas le vrai Messie, les Juifs n’auraient pu consentir à confesser tout uniment qu’ils s’étaient trompés. Il fallait surtout sauver l’honneur du grand Rabbi Aqiba qui s’était prononcé avec tant d’assurance. Mais il semble bien que, déçus, les Rabbins ont fait payer leur illusion au héros lui-même, qu’ils regardèrent plutôt comme un imposteur que comme un Messie.

D’après une opinion depuis longtemps abandonnée[3], les Juifs des dix tribus et les Samaritains ayant leur Messie traditionnel, on lui aurait fait une place qui ne pouvait être que subordonnée. Mais où étaient alors les dix tribus, en dehors de la communauté des Samaritains ? et les Juifs se souciaient-ils de ménager les Samaritains ? Sans compter que le Taëb de ces derniers, prédicateur de pénitence, n’a pas les traits du Messie guerrier, fils de Joseph.

Enfin, dans les différentes légendes, ce n’est pas le Messie éphraïmite qui ramène les dix tribus ; elles ne reviennent qu’après sa mort.

D’après M. Dalman[4], le second Messie est né du texte mystérieux de Zacharie sur la mort d’un grand inconnu, pleuré par tout un peuple. Avant ce moment, la victoire ; après ce deuil, le triomphe définitif par l’intervention de Iahvé. La première victoire exigeait un Messie, et ce Messie, dont on pleurait la perte, n’était pas destiné à régner. Pourquoi le nomme-t-on fils de Joseph ? A cause des magnifiques promesses du Deutéronome ; le taureau premier-né de Joseph est

  1. Il n’y a pas grand’chose de plus dans les diverses combinaisons de la légende au dixième siècle, si ce n’est que la première lutte est dirigée contre Rome ; le Messie ben Joseph est tué par Armilos ; alors paraît le Messie fils de David ; cf. Dalman, Der leidende…, p. 10 ss. d’après Pesiqta zutarthi, et d’après Saadya. Généralement le Messie fils de Joseph revient à la tête des morts qui ressuscitent à l’arrivée du fils de David.
  2. Neuhebr. Wörterb. III, 271a.
  3. Berthold, Glaesener, de Wette, ap. Dalman, l. l., p. 16.
  4. Der leidende…, p. 17 ss.