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du moins avant son triomphe. Aussi ce sont les impies, probablement les apostats du judaïsme, qui sont livrés par lui à la géhenne, et les riches à la mort[1].

Le peuple avait été substitué au Messie dans les phases douloureuses du rôle ; il était juste que Jonathan lui fît sa part de la récompense promise au Serviteur ; c’est donc le reste du peuple, dûment purifié, qui verra le règne de son Messie ; ils auront beaucoup d’enfants et vivront heureux et prospères dans la pratique de la Loi[2].

Pourtant le Targum, pressé par le texte, dit que le Messie a livré son âme à la mort. C’est à notre tour de bien l’entendre. D’après tout le contexte, cela ne peut marquer que la généreuse audace du Messie qui s’est exposé à la mort pour sauver son peuple. Cette vaillance a dû entraîner la victoire, car on voit aussitôt le Messie partager les richesses des villes fortes et asservir les rebelles à la Loi[3].

Jonathan a donc résolument interprété à rebours tous les endroits qui marquaient la souffrance dans un passage dont il n’avait pu méconnaître le caractère messianique. Il était beaucoup plus facile de laisser de côté le Messie souffrant quand on n’avait pas à lutter contre un texte clair. Aussi, d’après M. Dalman[4], aucun Targum, aucun des anciens Midrachim sur le Pentateuque, ni le Talmud de Jérusalem n’y font allusion.

Ceux mêmes qui se trouvaient en présence du texte d’Isaïe avaient un moyen plus simple que celui de Jonathan d’échapper à son évidence ; au lieu des contresens de détail, un contresens général qui ne leur laissât voir dans le Serviteur qu’un groupe de justes ou le peuple d’Israël tout entier. Les anciens rabbins semblent avoir préféré la première manière ; depuis Raschi, ce fut la seconde qui prévalut, et elle a été recueillie par un certain nombre de critiques modernes.

La tradition des tannas est-elle donc tout à fait muette sur les souffrances et les humiliations du Messie ? La réponse à cette question dépend du parti qu’on prend au sujet du texte célèbre cité par Raymond Martini. Si le texte du Pugio fidei est authentique, il faut admettre au sein du pharisaïsme une vue de l’expiation par le Messie qui ne le cède guère à celle de saint Paul.

Voici ce texte :

R. José le Galiléen a dit : Va et apprends le mérite du roi Messie et les récompenses des justes [à juger] d’après Adam le premier (homme), auquel il n’avait été com-

  1. v. 9.
  2. v. 10 et 11.
  3. v. 12.
  4. Op. laud., p. 86, note.