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une éclipse de sa fortune. Jamais sa mort n’a été envisagée à un degré quelconque comme ayant une utilité expiatoire pour Israël.

Le caractère même des écrits rabbiniques les obligeait à prendre leur point d’appui dans les textes. Ceux qui se présentent ici sont relatifs au Serviteur de Iahvé dans Isaïe.

Le portrait du Serviteur résulte du groupement de quatre textes[1], qui n’ont été étroitement rattachés que par une critique récente. Il ne faut donc point s’étonner que la Synagogue n’ait point perçu leur unité et leur ait donné des interprétations différentes. Le premier et le second ne parlaient pas encore des souffrances, et le portrait qu’ils traçaient du Serviteur ne ressemblait pas à l’idée qu’on se faisait du Messie. Un prédicateur de la doctrine, modeste et doux, n’évoquait pas l’image du Roi victorieux. De plus, le contexte paraissait indiquer que le Serviteur était Israël lui-même. C’est là sans doute la plus ancienne exégèse ; les Septante en font foi qui ont même inséré dans le texte Israël et Jacob[2]. Cependant l’idée grandissait que le Messie serait aussi un docteur et un prédicateur de la loi. Ces passages pouvaient donc lui convenir, et, comme il n’y était pas question de souffrances, cette assimilation ne faisait pas difficulté.

Le troisième texte parlait des souffrances, mais sans mettre en vedette la personne qui souffrait. Le plus grand nombre des rabbins a cru qu’il s’agissait du prophète Isaïe lui-même ; d’autres ont pensé à un juste quelconque.

Toute la difficulté portait sur le dernier endroit, le plus long, et de beaucoup le plus important.

Or il n’y a aucun indice qu’il ait été entendu dans le sens messianique, du moins avant le second siècle de notre ère, en dehors du Nouveau Testament. Ce n’est pas qu’il ait passé inaperçu. Peut-être Daniel y faisait-il allusion en parlant de ceux qui avaient eu à souffrir du fer, du feu, de la captivité, des outrages[3] ; cependant il n’attribue pas à leurs souffrances une valeur expiatoire. On peut seulement penser que les justes qui, en temps de persécution, et malgré la persécution, continuent à prêcher la Loi, sont, eux aussi, des serviteurs de Iahvé, et la plus brillante récompense leur est promise.

Le livre de la Sagesse[4] décrit avec beaucoup plus d’ampleur qu’Isaïe les souffrances du juste. C’est en vain que ses ennemis croient l’avoir accablé, c’est lui qui triomphera auprès de Dieu, pendant que

  1. Is. xlii, 1-4 ; xlix, 1-6 ; l, 4-9 ; lii, 13-liii, 12.
  2. Is. xlii, 1. Selon nous le texte massorétique a lui aussi ajouté Israël, Is. xlix, 3.
  3. Dan. xi, 33-35.
  4. Sap. ii, 12-20.