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Et il argumentait, contre cette préexistence, précisément des dons surnaturels qui devaient échoir au Messie, car, si le Messie avait eu une préexistence divine, il n’aurait eu aucun besoin d’être complété par les vertus du Saint-Esprit[1].

Le Messie devant venir ou étant venu au monde comme les autres hommes, on ne savait rien d’extraordinaire touchant sa conception et sa naissance. Tryphon est particulièrement choqué de la conception virginale. Il la compare au mythe de Danaé qui enfanta Persée de Jupiter tout en demeurant vierge. Plutôt que d’accepter une fable analogue, il aimerait mieux dire que Jésus était un pur homme qui a mérité par sa fidélité à la Loi et par sa vertu d’être choisi pour Messie[2]. Qui dit descendance de David, d’après l’adversaire de saint Justin, exclut la virginité de la Mère du Messie. Dans ce cas, « comment la parole dit-elle à David que Dieu lui donnera un fils de ses reins, et qu’il lui conférera la royauté, et l’établira sur le trône de sa gloire »[3] ?

Pour échapper à l’argument tiré d’Isaïe, Tryphon prétend que le prophète fait allusion à Ézéchias[4]. C’est dans le même but que la traduction d’Aquila a remplacé la Vierge des Septante par une jeune personne[5].

Les légendes citées plus haut paraissent bien mettre en vedette la Mère du Messie, et se taisent sur son père. Cependant il serait forcé d’en conclure à une naissance virginale. Le judaïsme était embarrassé pour nommer le père du Messie ; il était plus facile de laisser dans la pénombre sa mère dont la généalogie pouvait paraître moins importante.

L’ensemble de ces témoignages, parfaitement concordants[6], ne laisse subsister aucun doute. Le Messie des Pharisiens était un pur homme. Puisqu’il devait descendre de David dont la race n’occupait plus le trône, il devait donc naître dans l’obscurité.

Comme on l’attendait d’un moment à l’autre, on réservait la possibilité qu’il fût né. Nous avons vu qu’on le supposait entré dans le monde au moment de la ruine du Temple ; puis, pour le glorifier da-

  1. Dial. c. xlviii. Tryphon ne savait pas distinguer ce qui convenait au Fils de Dieu fait homme.
  2. Dial. c. lxvii.
  3. Dial. c. lxviii.
  4. Dial. c. lxvii.
  5. Is. vii, 14.
  6. On pourrait opposer un midrach de Siméon ben Lakich (vers 260) recueilli dans Berechith rabba, 2, où « l’esprit du Messie » est « l’esprit de Dieu » de Gen. i, 2. Mais M. Dalman (Die Worte Jesu, p. 248) a bien montré qu’il s’agissait d’une interprétation allégorique ; ainsi le Tohou est Babylone, Bohou la Médie, etc.