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extirper sous une double forme. Mais R. Ismaël b. Élicha lui répondait admirablement : « Est-ce parce qu’il y a un mot de plus, que cette âme sera extirpée ? » Et posant le fondement de l’exégèse littérale, il ajoutait : « Les paroles de la Loi doivent s’entendre selon les règles du langage humain[1] ».

On aura remarqué ici l’importance du salut d’une âme, car c’est bien du salut d’une âme ou d’une personne qu’il s’agit. Tous n’avaient pas la même largeur de vues, et Gamaliel II refusait même aux enfants mineurs des impies toute participation au monde à venir[2].

Quant aux Gentils de bonne volonté, si Éliézer b. Hyrkanos les excluait, ils étaient admis par Josué b. Khanania. Même divergence entre les deux controversistes au sujet des enfants que Gamaliel avait condamnés ; Josué prenait un parti plus doux. A plus forte raison ce casuiste indulgent savait excuser les gens de Sodome, la génération errant dans le désert, et même les compagnons de Coré, et toujours pour la raison que l’Écriture qui les excluait de ce monde ne disait rien du monde à venir ; tant était radicale la distinction entre les deux ordres.

Si l’on rapproche toute cette théorie, telle qu’elle résulte des textes, de ce que nous avons lu dans les psaumes de Salomon, dans l’apocalypse d’Esdras et dans celle de Baruch, il faut convenir que tout concorde dans la conception d’un monde transcendant, qui est le monde de la récompense. Ici la peine, là-haut le bonheur ; mais, par une sorte de noble revanche du monde actuel, toute action étant à son terme dans le monde à venir, le monde présent l’emporte parce qu’on y a le privilège d’y faire le bien. S’il y a dans cette pensée quelque exagération, elle ne manque pas de vigueur morale. On l’attribuait à Jacob, disciple d’Aqiba, qui disait : « Une seule heure de repentir et de bonnes œuvres dans ce monde est plus belle que toute la vie du monde à venir ; [et cependant] une seule heure de rafraîchissement d’esprit dans le monde à venir est plus belle que toute la vie de ce monde[3] ».

Nous pourrions donc conclure que, pas plus que les psaumes de Salomon, Esdras ou Baruch, le rabbinisme n’a confondu le monde à venir et les jours du Messie. D’ailleurs il y a des textes formels. Nous avons déjà cité Éléazar de Modin. Iehouda b. Ilai, élève d’Aqiba, constituait une sorte de crescendo.

  1. Bacher, Tann. I2, p. 236, dans Sifrê sur Num. xv, 31 : א״ל ר׳ ישמעאל לפי שהוא אומר הכרת תכרת הנפש ההיא דברה תורה כלשון בני אדם.
  2. Bacher, Tann. I2, p. 92.
  3. Aboth, iv, 17.