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A tout prendre, la perdition des pécheurs n’est donc pas la destruction absolue : ils sont relégués loin de Dieu, oubliés, perdus sans ressource.

Ce qui importe le plus à notre sujet, c’est le sort des justes. Les textes que nous avons parcourus s’expliquent si clairement d’une vie de l’au-delà, toute en Dieu, qu’elle n’a vraiment aucune relation directe avec le messianisme terrestre décrit par l’auteur aux psaumes xvii et xviii. On pourrait cependant objecter que le bonheur des justes ne commence pas après la mort ; il dépend d’un jugement général, prononcé sur tous. Ne doit-on pas supposer que ce jugement précède l’époque messianique ? Tout pourrait s’accorder ; les justes ressusciteraient pour prendre part au bonheur des autres.

Il n’y a qu’une difficulté, mais elle est capitale : tel n’est pas le point de vue de l’auteur. En parlant du bonheur des justes, auprès de Dieu, dans sa bienveillance, dans sa lumière, il n’a fait aucune allusion à la félicité messianique. Au contraire, lorsqu’il traite de ce temps, il dit deux fois avec emphase : « Heureux ceux qui vivront dans ce temps[1] ! » Le règne terrestre du Messie sera la joie de ceux qui vivront alors sur la terre de leur vie naturelle, non des autres.

La pensée de l’auteur était donc que le grand jugement suivait, non qu’il précédait la période messianique. Cela était d’ailleurs parfaitement naturel, puisque ce jugement ne pouvait avoir lieu qu’une fois, et que ceux qui devaient vivre au temps messianique, pour saints qu’ils fussent — et tous les Gentils ne l’étaient pas, — ne pouvaient être exempts de cette sanction suprême.

La seule difficulté qui demeure, c’est que les mêmes expressions de durée indéfinie s’appliquaient au salut d’Israël. C’était la part de survivance des anciens tableaux de l’avenir. Quand on traitait du salut personnel des justes, on l’envisageait sous l’aspect du mérite et du démérite, de la vie près de Dieu ou de la perte éternelle. Quand on reproduisait l’espérance traditionnelle, on lui assignait des perspectives indéfinies :

Le salut du Seigneur à jamais sur Israël son serviteur,

et que les pécheurs disparaissent d’une seule fois devant la face du Seigneur,

et que les saints du Seigneur aient en héritage ses promesses[2].

Israël, comme nation, entrait dans sa vie nouvelle, à jamais, par l’accomplissement des promesses qui sont les promesses anciennes du

  1. Ps. xvii, 50 et xviii, 7 : μακάριοι οἱ γινόμενοι ἐν ταῖς ἡμέραις ἐκείναις ἰδεῖν τὰ ἀγαθὰ κυρίου, ἃ ποιήσει γενεᾷ τῇ ἐρχομένῃ. Ce dernier passage est caractéristique : heureuses les générations de l’avenir !
  2. Ps. xii, 7. 8.