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roi »[1]. Le règne temporel est donc subordonné au règne éternel, le Messie à Dieu. D’ailleurs il était impossible de méconnaître que les temps messianiques seraient comme un développement du règne de Dieu, par le double exercice de sa miséricorde en faveur d’Israël et de sa justice envers les Gentils[2].

A jamais Dieu secourra Israël et jugera les nations, comme il l’a déjà fait ; il n’y a pas d’allusion ici à un jugement catastrophique spécial. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le règne de Dieu s’exercera davantage par l’intermédiaire du règne du Messie.

En passant aux traditions des maîtres tannaïtes, nous retrouvons les mêmes idées, mais enveloppées de termes qui leur sont propres.

« Le règne des cieux », ou simplement « le règne », est une expression fréquente dans les écrits des rabbins. Son sens a été très bien expliqué par M. Dalman[3]. Le terme de « cieux » ou de « ciel », puisque l’hébreu ne possède pas de singulier, est simplement synonyme de « Dieu ». C’est une de ces expressions moins augustes qu’on aimait à employer pour ne pas prononcer trop souvent le nom de Dieu[4]. Quant au mot de malkouth, encore qu’il figure en araméen dans le sens de royaume, pour marquer le territoire assujetti à la puissance d’un monarque[5], M. Dalman nous assure, — et ce point ne semble pas avoir été contesté, — que dans la locution en question il signifie toujours chez les rabbins le règne et non le royaume. Il s’agit donc toujours du pouvoir royal de Dieu, de la domination qu’il exerce, et, comme ce pouvoir s’étend partout, on a évité de le limiter en désignant par exemple le ciel comme le royaume de Dieu, à l’exclusion de la terre. Si certains textes distinguent le règne du ciel et celui de la terre, ce n’est pas pour opposer un territoire à un autre, c’est pour comparer le mode de gouvernement du souverain du ciel à celui des rois de la terre[6].

Le droit de Dieu à commander est dès maintenant absolu. L’homme doit le reconnaître et ensuite se soumettre à ses ordres. Envisagée de cette façon, la notion du règne de Dieu n’a rien d’eschatologique. C’est un joug que tout homme doit porter, et le Juif l’accepte chaque

  1. xvii, 38.
  2. Voir le texte plus bas, p. 230 ss.
  3. Die Worte Jesu, p. 75-83.
  4. Aussi dit-on שמים sans article, et non השמים.
  5. Cf. Dalman lui-même dans son dictionnaire araméen, et le Targ. d’Onq, Gen. xx, 9 ; xxv, 23.
  6. En particulier b. Ber. 58a, où il est fait allusion à la façon dont Dieu se présente, I Reg. xix, 11. De même l’expression de Siméon b. Lakich, מלכות שמים et מלכות הארץ (Dalman, l. l., p. 75).