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christianisme, deux points si importants pour juger de leurs convictions messianiques.

Cela posé, aucun catholique ne contestera que leur religion et leur morale, établies dans les grandes lignes sur L’Ancien Testament, ne soient fort au-dessus du scepticisme et de la morale incertaine des philosophes grecs. Les docteurs avaient d’ailleurs pleine conscience de la supériorité que leur donnait la Thora dans l’ordre religieux, même lorsqu’ils n’étaient pas tout à fait aveuglés sur les dons merveilleux de l’esprit grec[1].

On devra donc lire avec la même édification que les savants juifs tout ce que leurs livres contiennent d’élevé sur Dieu, de charitable sur le prochain[2]. Il demeure que Dieu était de plus en plus inaccessible, tellement haut qu’on était peu tenté de l’aborder avec la familiarité respectueuse des anciens, tellement sublime, qu’on avait d’abord cessé de lui donner le nom de Iahvé, puis celui de Dieu, pour se contenter d’équivalents vagues : le ciel, le nom, le saint, béni soit-il.

Quant au prochain, c’était Israël. Il est difficile d’aimer ceux qu’on méprise, et les Juifs avaient pour les Gentils un profond mépris. Tout païen était censé malhonnête homme[3]. C’était une présomption de principe dont il avait à se purger.

Au sein même du judaïsme, le rabbin méprisait le peuple de la terre, celui qui conversait avec les veaux ! Malgré tout ce qu’on peut dire pour excuser ce sentiment, il faut y reconnaître l’orgueil d’intellectuels qui se sentaient plus doctes et se croyaient plus moraux parce qu’ils connaissaient mieux la Loi.

D’ailleurs on n’entend pas contester que la morale juive ait eu une portée universelle. Le Dieu des Juifs étant le Dieu du monde et le Créateur de tous les hommes, ses lois devaient s’imposer à tous. Il est pourtant étrange que le judaïsme, une fois en possession de cette idée maîtresse, n’en ait pas tiré plus de conséquences. On voudrait savoir surtout si en présence du problème de l’au-delà, ou plutôt en présence de la solution que la foi donnait à ce problème, le rabbinisme a su mettre en relief le prix de l’âme et de ses destinées ultimes. Les apocalypses ont eu de très beaux accents pour déplorer la perte éter-

  1. M. Perles (l. l., p. 32) cite Eka r. sur ii, 9 : « Si quelqu’un te dit qu’il y a de la Sagesse (Khokma) parmi les gentils, crois-le. Si au contraire on te dit qu’il y a parmi eux une Thora, ne le crois pas ».
  2. Bacher, Tann. I2, p. 94, cite une belle maxime de Gamaliel II : « Aussi longtemps que tu seras miséricordieux, Dieu te fera miséricorde, mais si tu n’es pas miséricordieux, Dieu ne sera pas miséricordieux envers toi ».
  3. b. Sanh. 45a : סתם עכ״ום אנס הוא, Akkum, abréviation pour עובד כוכבים ומזלות dévot aux étoiles et aux planètes.