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doit quelque chose au droit romain, et quelle législation moderne s’est inspirée du Talmud ?

Le droit romain classique mérite cependant un grave reproche : il fait une trop grande part à la fiction. Pour ne sacrifier ni les textes, ni la justice, on réglait les cas comme si on était dans l’hypothèse prévue par la rigueur des vieilles formules. Peu à peu cependant on se décida à légiférer, et le christianisme fit décidément tomber en désuétude un formalisme suranné. Le rabbinisme, lui, poussa la fiction jusqu’aux dernières limites de l’invraisemblable. Lorsque la tradition eut acquis force de loi à côté de la loi écrite[1], on lui créa un titre égal, en supposant qu’elle avait été, elle aussi, enseignée par Dieu au Sinaï. Elle faisait, en effet, partie intégrante de la Thora, désormais composée de loi écrite et de tradition orale. C’est ainsi qu’on explique la célèbre phrase qui ouvre le traité des Décisions des Pères : « Moïse a reçu la Thora du Sinaï, et l’a transmise à Josué, et Josué aux anciens, et les anciens aux prophètes, et les prophètes l’ont transmise aux hommes de la grande synagogue[2] ».

Les hommes de la grande synagogue n’ont jamais existé que dans l’imagination des rabbins, mais ce terme explique tant bien que mal les origines de leur caste. C’est l’anneau qui les rattache à Moïse et à Dieu, par les prophètes, les anciens et Josué. Leurs explications avaient donc la même autorité que la parole de Dieu. Il pouvait paraître étrange que Dieu eût révélé en même temps sa Loi, et l’exégèse de son texte. Mais on ne reculait pas devant cette suprême fiction : R. Josué ben Levi concluait de certaines particularités du texte[3] « que la Bible, la Michna, le Talmud[4] et l’Exégèse, même ce que l’élève perspicace (εὔτικος) enseignera un jour en présence du maître, tout cela a déjà été dit à Moïse sur le mont Sinaï »[5].

On en arrivait même à préférér les traditions orales, et cela en s’appuyant sur un texte[6] ! Cependant, à proprement parler, on ne pouvait concevoir un conflit. Si l’on dit qu’il est plus grave de contredire les paroles des Scribes que celles de la Thora, c’est qu’on suppose qu’une atteinte à la Thora est sans portée[7], tandis que

  1. Nommée ordinairement מקרא.
  2. Pirqê Abôth, cité ordinairement Aboth : משה קבל תורה מקיני ומסרה ליהושע ויהושע לזקנים וזקנים לנביאים ונביאים מסרוה לאנשי כנסת הגדולה.
  3. Dt. ix, 10.
  4. Dans le sens d’enseignement des maîtres.
  5. Traité Péa. Trad. Schwab, t. II, p. 37.
  6. j. Meg. IV, 74d אותן שבפה חביבין « celles qui viennent par la bouche sont plus aimées » d’après Ex. xxxiv, 27.
  7. Sanh. XI, 3 : חומר בדברי סופרים מדברי תורה. Ce passage pourrait induire en erreur