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quand des suffrages nouveaux s’ajoutaient aux anciens, et le moment vint où elle eut assez de crédit pour faire figure à côté de la Loi et pour être écrite comme une répétition, un développement de la Loi. Il y a désormais la Loi, et la tradition, mais, — c’est le postulat nécessaire de toute cette évolution, — la tradition se colore d’exégèse. Tous les termes employés pour désigner la tradition se réfèrent à la Loi. Le nom de michna signifie répétition de la Loi ; celui de talmud vient de l’enseignement du Livre ; celui de agada fait allusion à ce que l’Écriture suggère ; midrach signifie la recherche exégétique elle-même[1].

  1. Ce point n’a été traité clairement, à ma connaissance, que par Bacher, dans l’appendice à la 2e édition du 1er volume de l’Agada des Tannaïtes, et en français dans la Rev. des études juives, t. XXXVIII, p. 211-219 : Les trois branches de la science de la vieille tradition juive, le Midrasch, les Halachot et les Haggadoth. Ce savant a bien dissipé la confusion qui est née nécessairement des sens successifs de certains mots.

    Il ne sera pas sans utilité pour plusieurs lecteurs de rappeler ici le sens de certains termes techniques qui seront employés plus loin, en utilisant les explications de Bacher (Die Agada der Tannaiten, I, 2e éd. Anhang, p. 451-489). Il n’existe pas de mot propre pour signifier la Tradition en tant que distincte de l’Écriture. Quelquefois on emploie dans ce sens le mot michna, et alors elle comprend le talmud ou le midrach, les halakoth et les agadoth ; משנה vient de שנה, « répéter », comme מקרא de קרא, « lire ». Par exemple dans le texte de Josué b. Nekhemia, docteur palestinien du ive siècle : תורה משולשת תורה נביאים וכתובים משנה משולשת תלמוד הלכות והגדות. En fait, et dans un sens concret, la michna est le corps des décisions et sentences traditionnelles rédigé par Juda le Saint ou Rabbi, avant l’an 200, et dont le noyau remonte probablement à R. Méîr et plus haut à R. Aqiba. Les auteurs mis à contribution, nommés ou non, sont désignés comme tannaïtes ou tannas (תַּנָּא, pl. תַּנָּאֵי) ou répétants, le verbe תנא en araméen ayant le même sens que שנה en hébreu. Ce travail était loin d’être complet. On crut connaître beaucoup d’autres paroles des docteurs tannaïtes qui n’avaient pas été mentionnées dans la michna. Une sentence de ce genre se nommait une parole extérieure à la michna, laissée en dehors, baraïtha (בָּרַיְתָּא, sous-entendu מתניתא, « tradition ») de בר ou ברא, « dehors ». Ces baraïthôth furent rassemblées soit dans la Tosephta (תּוֹסֶפְתָּא), « addition », soit dans la Guémara (גְּמָרָה), complément », ajoutée à la Michna comme son commentaire, soit même dans d’autres traités plus récents. La Michna et la Guémara constituent le Talmud, dont le nom (תלמוד) signifiait primitivement l’enseignement tiré de l’Écriture. Et Bacher a bien montré que c’était aussi le sens premier du mot Agada (en hébreu הַגָּדָה, en araméen אגָּדָא), enseignement ou même renseignement fourni par l’Écriture. En fait on donne le nom de Agada à tout ce qui, dans les divers écrits rabbiniques, n’est point Halaka. Enfin Halaka (הֲלָכָה), « voie », signifie une loi qui règle la conduite, loi qui n’est pas contenue dans l’Écriture et qui, néanmoins, est censée parole de Dieu : אשר דבר ה׳ זו הלכה ביד משה זה תלמוד « Ce qu’a dit le Seigneur est halaka, par l’intermédiaire de Moïse, c’est Talmud » (b. Ker. 13b), où la halaka est opposée au Talmud dans le sens que nous disions d’enseignement tiré de l’Écriture ou de Moïse. On admettait la halaka à cause de ce caractère censé divin, car un simple raisonnement logique eût été sujet à réplique : אם הלכה נקבל אם לדין יש תשובה (b. Ker. 15b ; ces deux textes dans Lévy, Neuhebr. Wörterb. v. הלכה). Les halakôth eurent donc à la fin leur valeur propre sans s’appuyer sur l’Écriture sainte, mais on n’était pas fâché de les y rattacher. Le midrach (מִדְרָשׁ de דרשׁ, « recherche ») ou exégèse était lui aussi