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Comment pourrait s’instruire celui qui tient l’aiguillon,
Et met toute sa gloire à brandir la lance,
Qui conduit les bœufs et excite ses bêtes,
Et n’a de conversation qu’avec les veaux[1] ?

L’opinion flatteuse que les scribes avaient d’eux-mômes était partagée par la foule, qui prit l’habitude de les interpeller : rabbi, « mon maître ». Cette formule de politesse eût pu signifier seulement Monsieur. Appliquée couramment aux docteurs, elle devint synonyme de maître dans le sens de magister[2].

Puis, décidément spécialisée, on la plaça devant les noms propres des docteurs, toujours comme quand nous disons Monsieur un tel, et il ne fut plus admis de nommer un docteur de la Loi sans dire Rabbi un tel. Hillel et Chammaï ne portent jamais ce titre ; il prévalut donc après eux, vers le temps de Jésus. On dit aussi Rab, et Rabban[3] ; et Rabbi tout court désigna Rabbi Juda le Saint, le rédacteur de la Michna. De là ce nom vulgaire de rabbin, pour désigner le nouveau clergé du judaïsme, et par suite de rabbinisme pour marquer la doctrine qui constitue sa théologie orthodoxe.

Cette théologie ne consistait pas seulement à expliquer la Loi. Tout commentaire développe, surtout lorsqu’il s’agit de lois vivantes. Les tribunaux qui jugent très exactement d’après la loi créent, malgré qu’ils en aient, une jurisprudence ; peu à peu, elle se placera à côté de la loi, non seulement pour l’interpréter, mais encore pour la compléter.

Telle fut la situation des docteurs de la Loi ; leur influence était d’autant plus étendue qu’il n’existait point de législateur autorisé qui pût répondre aux besoins nouveaux en complétant ou en modifiant la législation.

Les circonstances changeaient avec le temps, et les idées religieuses elles-mêmes se développaient. Pourtant il ne pouvait plus être question d’apporter le moindre changement à une loi donnée par Dieu et solennellement promulguée, ni d’accepter des concepts

  1. Eccli. xxxviii, 24 s. Traduction de M. Israël Lévi d’après l’hébreu. Le dernier trait a été adouci par les Septante.
  2. Joa. i, 38 : Ῥαββεί (ὃ λέγεται μεθερμηνευόμενον Διδάσκαλε).
  3. רַבָּן ou רַבּוֹן. La tradition générale, rapportée par Lévy (Dict. sub v° רבן), est : גדול מרב רבי גדול מרבי רבן גדול מרבן שמו Rabbi est plus que Rab, Rabban est plus que Rabbi, le nom propre est plus que Rabban. On expliquait ainsi comment les anciens maîtres n’avaient porté aucun titre. Rabban appartient à la lignée de Hillel, jusqu’à Juda, Rabban Gamaliel I, Rabban Gamaliel II, Rabban Siméon ben Gamaliel II, Gamaliel III. On leur joignit Rabban Iokhanan ben Zakkaï. On donne le litre de Rab aux amoras de Babylone ; Rab tout court désigne le fondateur de l’école babylonienne de Sora.