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On pourrait arguer que si les temps messianiques sont d’une durée limitée, ils sont aussi la manifestation de choses célestes. Ces choses célestes, montrées au monde corruptible, qui s’en trouve déjà transformé, ne feraient-elles pas partie du monde futur ? De la sorte, ceux qui sont décédés auparavant, et qui ne doivent ressusciter qu’au seuil du monde futur, n’en seraient point frustrés. Mais, tout cela, l’auteur aurait pu le dire, et s’il ne l’a pas dit, nous ne devons pas le conclure ; et probablement le monde futur, d’après lui, ne comportait pas ce mélange.

Aussi bien n’attachait-il pas une grande importance pratique au messianisme. Il ne fait jamais mention du Messie dans ses exhortations au peuple. Tout le bien dans le passé venait de la Loi ; c’est aussi la suprême espérance de l’avenir. En dépit de tout, elle demeure[1]. Avec la Loi, rien ne manque.

C’est aussi tout le fond d’une lettre que Baruch charge un aigle de porter aux neuf tribus et demie dans leur exil. Ici le masque tombe presque complètement. C’est un juif exilé de Palestine qui s’adresse à ses frères dispersés : « Maintenant les justes sont morts, les prophètes dorment leur dernier sommeil, nous-mêmes sommes sortis de notre pays, Sion nous a été enlevée, nous n’avons rien maintenant, si ce n’est le Fort et sa Loi »[2]. Les nations qui nous oppriment seront punies ; le jugement viendra, et chacun sera jugé selon ses œuvres. La Loi et les fins dernières, c’est le tout de l’homme, d’après Baruch, ou plutôt du pieux Israélite dont il se préoccupe uniquement, et c’est aussi le programme du judaïsme apres la chute de Jérusalem. Certes la plainte est encore amère et la plaie douloureuse, mais elle n’est pas saignante comme aux jours du IVe d’Esdras. Dans Baruch la stupeur a fait place à la résignation. Lui aussi est pessimiste, mais il fait quelque crédit à un monde où l’on pourra encore pratiquer la Loi.

Le rôle du Messie est encore diminué dans l’Apocalypse d’Abraham. Il n’apparaît que pour réunir les Juifs dispersés. Après cela Dieu juge et jette dans les flammes ceux qui ont dominé pendant le mauvais Éon ; leur châtiment dans l’Hadès est étemel. L’auteur ne décrit la félicité des justes qu’en insistant sur leur joie à voir les tortures des autres[3].

Comme Esdras, quoique avec beaucoup moins d’intensité et de

  1. lxxvii, 15 pastores et lucernae et fontes a lege erant ; et si nos abeamus, attamen ex stat. 16 si ergo respexeritis in legem et fueritis prudentes in sapientia, non deficiet lucerna, et pastor non recedet, et fons non arescet.
  2. lxxxv, 2.
  3. xxxi et xxxii.