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descend toute prête comme le Messie, et même avec le pays dont elle sera le centre. Ce pays jouera le rôle d’une Palestine nouvelle, mais il est fort possible que ce soit le Paradis[1]. Un trait qui paraît tout d’abord très naturel, c’est le retour des dix tribus, déportées par Salmanasar. Mais là encore l’invisible joue son rôle ; on suppose qu’elles vivent cachées dans une terre inconnue où jamais n’a habité un être humain[2]. Elles aussi feront donc leur manifestation. Et toutes ces merveilles sont réservées à Israël. Il ne pouvait en être autrement dans le système de l’auteur. Le messianisme n’avait plus pour lui de raison d’être que d’exercer sur les nations un jugement plus sévère que celui dont elles avaient frappé le peuple de Dieu, moins coupable.

Il faudrait maintenant décrire l’autre eschatologie d’Esdras, le terme définitif du monde, la distinction entre les justes et les pécheurs, la résurrection générale, le bonheur éternel des uns, la damnation définitive des autres. Il ne s’agit plus ici que du sort des individus, réglé d’après une stricte justice ; on n’y parle plus d’Israël, opposé aux Gentils ; Israël lui-même a fourni son contingent de damnés. Au contraire il peut se trouver des justes parmi les Gentils[3]. Ce n’est cependant qu’une infime exception. Les nations sont fatalement condamnées, puisqu’elles ne connaissent pas Dieu et ne pratiquent pas sa loi[4].

Nous n’avons pas à insister, puisqu’il ne s’agit plus ici d’eschatologie messianique ; on retrouvera les traits principaux à propos de la résurrection. Il faut seulement remarquer qu’aucun lien n’existe entre le rôle du Messie et le bonheur éternel des justes. Les sphères d’action sont absolument distinctes, puisque le Messie n’est même pas nommé parmi les élus. Les justes se sauvent par leurs œuvres, c’est-à-dire par l’accomplissement de la loi, sous la tutelle de la Providence de Dieu, mais non pas par sa grâce[5], et si Dieu fait miséricorde à des pécheurs convertis, c’est en faveur des justes, non à cause du Messie, qui n’a rien à voir à cela.

Le Christ sauve Israël à la fin des temps, et lui procure quelques années de bonheur et de gloire ; il n’est point l’auteur du salut éternel des justes. On ne voit pas non plus que sa doctrine et ses exemples les éclairent ; ne compromettrait-il pas ainsi son rôle de triom-

  1. Cf. Apoc. Baruch, iv.
  2. xiii, 41.
  3. iii, 36 : Homines quidem per nomina invenies servasse mandata tua, gentes autem non invenies.
  4. iii, 32 : Aut alia gens cognovit te praeter Israel ? etc.
  5. Nous ne voyons pas comment M. Vaganay a pu écrire (p. 108) : « La justification est donc surtout le fait de la grâce de Dieu ». Cf. viii, 33 : Iusti enim quibus sunt operae multae repositae apud te, ex propriis operibus recipient mercedem.