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humain, réuni des quatre points cardinaux, mais il fait naître une montagne et du sommet de cette montagne il réduit en cendres l’immense armée, par le souffle de sa bouche. Puis il appelle à lui une autre multitude pacifique, les uns joyeux, les autres tristes, quelques-uns captifs, amenés par leurs vainqueurs. Avec un tact admirable, l’auteur s’éveille à ce moment précis, sans s’étendre sur le bonheur qu’on pressent déjà ; les images se sont succédé, comme dans un rêve, grandioses, un peu bizarres, chacun des acteurs du drame paraissant à point nommé pour jouer son rôle. C’est une belle vision, mais c’est une vision qui ne nous renseigne pas sur ce qu’est celui qui paraît comme un homme. C’est bien l’indication du Messie, l’auteur nous le dira, mais ce n’est point la définition du Messie ; c’est sa représentation en vision, il ne faut pas l’oublier. Le nom d’homme ne lui est jamais appliqué que dans cette vision ou dans l’interprétation qui en est donnée[1]. Et si en effet cet homme marquait le peuple d’Israël, personne ne refuserait de reconnaître l’inspiration de Daniel. Actuellement quelques critiques vont chercher les analogies les plus lointaines pour éviter celle qui s’impose : l’être semblable à un homme qui vient sur les nuées ou avec les nuées[2]. La montagne elle-même est une image prise ailleurs dans Daniel[3]. Plutôt que d’entasser les conjectures érudites, mieux vaut reconnaître simplement qu’Esdras interprétait du Messie l’homme de Daniel. Si ce n’est pas le sens littéral précis du texte de Daniel, qui peut affirmer que ce texte n’avait pas été développé dans le sens que le terme d’ « homme » suggérait si naturellement ? D’ailleurs, loin d’être un homme comme un autre, cet homme, ou plutôt cette image d’un homme, signifie en réalité une personnalité d’une telle grandeur que l’ange, parlant au nom de Dieu, le nomme « mon fils » [4]. C’est ici un fait tout à fait extraordinaire et isolé dans les apocalypses ; on se l’explique mieux si l’auteur a tablé sur une tradition antérieure représentée selon nous par le psaume deuxième[5]. Et en effet, l’homme d’Esdras, établi sur la montagne de Sion, ressemble beaucoup au héros du Psalmiste[6]. Il en

  1. Outre xiii, 3, cf. xiii, 5 : ut debellarent hominem, qui ascenderat de mari ; xiii, 12 : et post haec vidi ipsum hominem ; xiii, 25 : quia vidisti virum ascendentem ; xiii, 32 : quem vidisti virum ascendentem ; xiii, 51 : propter quod vidi virum ascendentem.
  2. Dan. vii, 13.
  3. Dan. ii, 35 et Esd. xiii, 36 : sicut vidisti montem sculpi sine manibus.
  4. xiii, 32.37.52 ; xiv, 9 ; auxquels il faut ajouter vii, 28 et 29, qui pourrait être révoqué en doute s’il était isolé, à cause des variantes entre les versions.
    On lit une seule autre fois, dans Hénoch cv, 5 : « moi et mon fils », mais le passage est interpolé.
  5. Ps. ii, 7.
  6. Comparer Ps. ii et Esdras xiii, 34 ss. : et colligetur in unum multitudo innumera-