Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élu, et il semble que Dieu, indifférent à tout le reste, sera satisfait, pourvu que le peuple auquel il a donné la Loi lui soit fidèle. Or, il y a dans le peuple choisi bien des transgresseurs, et si, malgré tout, Israël l’emporte de beaucoup sur les Gentils, comment se fait-il que ce soit précisément lui qui soit foulé aux pieds de ses adversaires ? Cette injustice, si criante, n’est pasle comble du scandale. Le pire de tout, c’est que le nom du Très-Haut est enveloppé dans la catastrophe. Ne dirait-on pas que Dieu se soucie peu de son propre honneur ? Cette méditation historique ne peut avoir qu’une conclusion : ce monde mauvais, irrémédiablement corrompu, doit disparaître pour faire place à un monde meilleur. Lorsque le pessimisme est au plus bas, il rebondit en optimisme, l’optimisme le plus sûr de lui, ou plutôt le plus sûr de Dieu. La victoire doit appartenir au bien.

Ce serait à souhait, si le monde futur pouvait être attendu comme le bien propre d’Israël et constituer sa revanche. Au temps de l’auteur d’Esdras, on ne se contentait plus d’une solution aussi simple. On s’était habitué, depuis les Macchabées, à distinguer dans la nation élue des justes et des prévaricateurs qui ne pouvaient participer ensemble aux félicités du monde futur. Au moment des luttes ardentes entre Sadducéens et Pharisiens, les voyants décrivaient d’avance les tortures réservées à leurs adversaires avec des accents de haine et de revanche. Après la catastrophe de Jérusalem, le sang juif versé à flots, tout un peuple emmené en esclavage ou asservi, la solidarité nationale rapproche les cœurs ; Esdras ne peut songer sans douleur au sort affreux réservé à ceux d’Israël qui ont eu le malheur de pécher. Mais rien ne peut faire fléchir la justice. Et considérant combien peu, même parmi Israël, parviendront à ce monde futur, angoissé sur sa propre destinée, il s’arrête, rabbin soumis et non Titan téméraire, devant les insondables jugements de Dieu.

Il lui restait du moins une ressource, une compensation pour les lamentables échecs du bien dans l’histoire : avant de finir, ce monde corrompu et condamné, sur lequel Dieu a déjà mis son sceau[1], sera le théâtre de la restauration de Sion, de la victoire du Messie sur l’empire romain, et du bonheur d’Israël, réuni tout entier dans la Terre Sainte.

Ce serait donc une erreur de penser qu’Esdras oppose philosophiquement l’eschatologie individuelle au messianisme. Israël, aujour-

  1. Dans une certaine perspective, les temps messianiques étant déjà éclairés par l’éternité, on dirait qu’ils appartiennent au monde futur, par exemple vi, 7 ss. ; vi, 20 ; mais l’auteur s’exprime ailleurs plus clairement.