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Telle est cette eschatologie des Paraboles, assurément très confuse dans le détail, et altérée par des interpolations de toute sorte. On n’en peut méconnaître cependant le sens général et la haute spiritualité. Le nom même de Seigneur des esprits, qui ne reparaît presque nulle part ailleurs, lui donne son empreinte. L’existence actuelle des âmes auprès de ce Seigneur est nettement affirmée ainsi que leur capacité d’intercéder avec les justes de la terre. La fin de toutes choses sera l’apparition de ce monde céleste, et la transformation du monde actuel par cet envahissement de la lumière et de la justice. La résurrection marquera le passage de l’ordre corruptible du péché à l’ordre de la justice absolue. Un être mystérieux préside à ces changements ; il n’est pour rien dans le salut des justes, si ce n’est que sa figure, qui leur est révélée, les éclaire et les soutient. Le sentiment nationaliste est voilé sous les apparences du sentiment moral.il est sous-entendu que les justes et les élus sont la fleur d’Israël dont l’Élu est comme le prototype céleste. La nouveauté de cet ouvrage consiste dans le développement unilatéral de Daniel. Le Messie, — qu’il soit ou non nommé dans le texte primitif, — élevé à ces hauteurs, est désormais au niveau des conceptions eschatologiques les plus étendues et les plus spiritualisées. Il y pourra figurer beaucoup plus aisément que le Messie, fils de David, roi d’Israël et conquérant. Mais il faut constater aussi que ce n’est plus le même personnage. Ce n’est pas une solution du problème posé par des conceptions nouvelles et par la tradition sur l’homme-Messie ; c’est l’option exclusive d’un des deux éléments qu’il eût fallu concilier.

Ainsi nous ne doutons pas que ce messianisme céleste ait été créé par des Juifs sans qu’ils aient été provoqués à s’élever jusque-là par la concurrence du christianisme, mais il ne laissa pas de les embarrasser, lorsque les chrétiens eurent reconnu en Jésus le Fils de l’homme de Daniel.

Ils ne virent point d’autre solution, semble-t-il, que d’assimiler Hénoch lui-même au Fils de l’homme. Il monte au ciel et pénètre jusqu’à l’ancien des jours[1]. « 13 Et cette Tête des jours vint avec Michaël et Gabriel, Raphaël et Phanuel, et des milliers et des myriades d’anges innombrables. 14 Et elle vint à moi, et elle me salua de la voix et me dit : « Toi, tu es le fils de l’homme qui a été engendré pour la justice, et la justice demeure sur toi, et la justice de la Tête des jours ne t’abandonnera pas ». Ce sont précisément les prédicats accordés plus haut au Fils de l’homme[2]. Assurément tout ce chapitre

  1. lxxi, 13 s. (Trad. Martin).
  2. xlvi, 3.